Me Connecter
Me connecter
PartagerPartager
Fermer
Linked InTwitter
Partager
Partager

Recherche dans la JLMB

Retour aux résultatsDocument précédentDocument suivant
Information
11/09/2019
Version PDF
-A +A

Tribunal de l'entreprise francophone Bruxelles (président), 11/09/2019


Jurisprudence - Droit des assurances

J.L.M.B. 19/450
Assurances - Protection juridique - Libre choix de l'avocat - Avantages financiers en cas d'appel à un avocat « labellisé » - Atteinte à la liberté de choix - Pratique du marché illégale - Cessation de publicité et de commercialisation .
En offrant un double avantage financier (plafond d'intervention supérieur et absence de franchise) aux seuls assurés qui accepteraient de faire appel à un avocat faisant partie du pool d'avocats constitué par celui-ci, l'assureur protection juridique porte atteinte au principe du libre choix de l'avocat tel que consacré de manière impérative par l'article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances. La publicité et la commercialisation de pareil produit d'assurance constitue une pratique illégale, contraire aux pratiques honnêtes du marché.

(O.B.F.G. / S.E. Arag )


(...)
2. Contexte du litige
1. L'O.B.F.G. est une organisation qui réunit l'ensemble des onze barreaux francophones et du barreau germanophone de Belgique.
2. La société Arag est une compagnie d'assurances active sur le marché belge et qui ne vend que des contrats d'assurance protection juridique.
3. Au début de l'année 2019, l'O.B.F.G. a été informé du fait qu'Arag avait mis au point un nouveau produit d'assurance protection juridique dénommé « Arag LegalU ».
Selon Arag, ce produit entend répondre aux conditions qui sont fixées par la loi dite « Geens » du 22 avril 2019 visant à rendre plus accessible l'assurance protection juridique (M.B., 8 mai 2019), qui n'était alors qu'un projet.
Le folder destiné à faire la promotion de ce produit d'assurance contient un encadré rédigé comme il suit :

« Attention...

bénéficiez d'avantages supplémentaires en faisant appel à un avocat labellisé Arag :

- Augmentez vos plafonds d'intervention : Plafonds d'intervention de 30.000 euros au lieu de 20.000 euros et de 10.000 euros au lieu de 7.500 euros.

- Supprimez la franchise de 250 euros applicable dans certaines garanties uniquement en cas de frais et honoraires d'avocats.

Vous bénéficiez des mêmes avantages en cas de de gestion amiable ».

Depuis l'émission de ce folder, Arag a fait paraître un nouveau folder, dans lequel l'expression « avocat labellisé » est remplacée par « avocat partenaire ».
4. Selon l'O.B.F.G., il résulte de cette publicité que le consommateur qui a souscrit un contrat « LegalU » et qui, une fois confronté à un litige, accepte de confier la défense de ses intérêts non à un avocat qu'il a librement choisi, mais à un avocat « labellisé Arag » :
  • d'une part, bénéficie d'un plafond d'intervention nettement supérieur à celui qui lui est accordé s'il fait appel à un avocat qui ne fait pas partie du pool d'avocats constitué par Arag ;
  • d'autre part, évite l'application de la franchise contractuelle de 250,00 euros.
Pour l'O.B.F.G., cette pratique porte atteinte au principe du libre choix de l'avocat qui est consacré de manière impérative par l'article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.
5. Arag a été mise en demeure, par courrier du 6 décembre 2018 du conseil de l'O.B.F.G., de renoncer à cette pratique commerciale, mais sans succès.
La citation en cessation a été signifiée à Arag le 28 février 2019.
3. Discussion
6. L'O.B.F.G. expose que

« la seule et unique question que soulève cette action en cessation est (...) celle de savoir si Arag viole ou non le principe du libre choix de l'avocat en accordant des avantages financiers à ceux de ses assurés qui acceptent de faire appel à un avocat de la liste d'avocats qu'elle a elle-même établie ».

7. Il rappelle - ce qui n'est pas contesté par Arag -, que le principe du libre choix de l'avocat en assurance protection juridique est un droit qui a été consacré au niveau européen avant d'être reçu en droit belge, d'abord par l'article 92 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, puis à l'article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, dans les termes qui suivent :

« Article 156. Libre choix des conseils

Tout contrat d'assurance de la protection juridique stipule explicitement au moins que :

1° L'assuré a la liberté de choisir, lorsqu'il faut recourir à une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale, un avocat ou toute autre personne ayant les qualifications requises par la loi applicable à la procédure pour défendre, représenter et servir ses intérêts et, dans le cas d'un arbitrage, d'une médiation ou d'un autre mode non judiciaire reconnu de règlement des conflits, une personne ayant les qualifications requises est désignée à cette fin.

2° Chaque fois que surgit un conflit d'intérêt avec son assureur, l'assuré a la liberté de choisir, pour la défense de ses intérêts, un avocat ou, s'il le préfère, toute autre personne ayant les qualifications requises par la loi applicable à la procédure ».

L'O.B.F.G. relève encore que ce principe du libre choix de l'avocat est souligné dans la circulaire que la C.B.F.A. (devenue depuis la F.S.M.A.) a consacrée le 19 octobre 2010 à l'assurance protection juridique, et que l'importance de ce principe a également été rappelée dans le protocole d'accord qui a été signé le 3 novembre 2011 entre les assureurs de protection juridique affiliés à Assuralia, l'O.V.B. et l'O.B.F.G.
8. En l'espèce, l'O.B.F.G. est d'avis que la pratique mise en oeuvre par Arag au travers des conditions de couverture de son produit LegalU constitue une violation du principe de liberté du choix de l'avocat et, dès lors, une pratique contraire aux usages honnêtes du marché devant être censurée par le juge des cessations.
Selon l'O.B.F.G., en offrant un double avantage financier aux assurés qui acceptent de recourir à un avocat faisant partie du pool d'avocats constitué par elle, Arag porte atteinte (fût-ce de manière indirecte) au principe de liberté de choix de l'assuré.
Il soutient que ce double avantage financier constitue un incitant économique qui conduit l'assuré à ne pas faire appel à l'avocat de son choix, mais à limiter ce choix à un avocat faisant partie des avocats présélectionnés par la compagnie Arag.
L'O.B.F.G. en conclut que le choix de l'assuré est donc orienté et, partant, biaisé. Dès lors, il estime qu'il est établi que le double avantage financier offert par Arag porte atteinte au principe du libre choix de l'avocat imposé par l'article 156 de la loi du 4 avril 2014.
9. En défense, Arag soutient tout d'abord que seuls 5 pour cent des sinistres ouverts auprès de ses services dépasseraient le plafond standard de la couverture qu'elle offre, à savoir 20.000,00 euros. Elle en déduit que dans 95 pour cent des cas, ses assurés ont « toute l'initiative de désigner l'avocat de [leur] choix ».
À juste titre, l'O.B.F.G. réplique que le taux de satisfaction atteint importe peu, dès lors que la question soumise au juge des cessations est une question de principe et non un calcul économique.
10. De même, le fait que, par sa politique d'assurance, Arag entend favoriser la résolution des litiges à l'amiable est sans pertinence pour juger de l'éventuelle violation du principe du libre choix de l'avocat.
11. Arag fait ensuite valoir que le fait de dresser une liste d'avocats n'est pas illégal. Elle se réfère à la circulaire précitée de la F.S.M.A., laquelle dispose notamment

« S'il le demande expressément l'assuré peut choisir un avocat dans une liste fournie par l'assureur (...) ».

Par la présente action, l'O.B.F.G. ne fait pas grief à Arag d'établir une liste d'avocats à renseigner à ses assurés, mais bien de lier au choix que l'assuré ferait d'un avocat inscrit sur ladite liste, l'octroi à cet assuré d'avantages supplémentaires réservés aux seuls assurés choisissant leur avocat dans la liste préétablie d'Arag
12. Arag soutient d'autre part que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, le libre choix de l'avocat ne serait pas absolu.
Elle invoque à cet égard l'arrêt Stark rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 26 mai 2011.
En soulignant les conditions fixées par cet arrêt pour qu'une limitation à la prise en charge des frais et honoraires de l'avocat soit valide, Arag laisse entendre que les avantages financiers qu'elle accorde à ses assurés ne seraient pas critiquables, dès lors qu'ils permettraient une indemnisation suffisante.
13. Il convient de rappeler que dans l'affaire soumise à la Cour de justice de l'Union européenne, un ressortissant autrichien, Monsieur Stark, souhaitait introduire une action devant le tribunal du travail et des affaires sociales de Vienne avec l'assistance d'un avocat de sa ville, à savoir Landeck, laquelle est située à 600 kilomètres de la capitale autrichienne.
Or la législation autrichienne contenait, à l'article 158k de la loi sur le contrat d'assurance, la disposition suivante :

« 1. Pour sa représentation dans une procédure judiciaire ou administrative, l'assuré est en droit de choisir librement une personne professionnellement habilitée à représenter les parties. En outre, l'assuré peut, pour la défense de ses autres intérêts juridiques, choisir librement un avocat lorsqu'il existe un conflit d'intérêts avec l'assureur.

2. Il peut être convenu dans le contrat d'assurance que l'assuré ne peut choisir pour sa représentation dans une procédure judiciaire ou administrative que des personnes professionnellement habilitées à représenter les parties qui ont leur cabinet au lieu du siège de l'autorité judiciaire ou administrative compétente pour connaître de la procédure en première instance. Pour le cas où il n'existe pas, en ce lieu, au moins quatre personnes y ayant leur cabinet, la possibilité de choix doit s'étendre aux personnes du ressort du Gerichtshof erster Instanz (tribunal de première instance) dans lequel est établie l'autorité précitée.

(...) ».

Vu l'éloignement du cabinet de l'avocat choisi par Monsieur Stark, et eu égard à cette disposition légale, reprise dans les conditions générales de la police d'assurance souscrite par ce dernier, l'assureur protection juridique de Monsieur Stark s'opposa à la prise en charge des frais supplémentaires d'avocat liés à cet éloignement.
Le tribunal cantonal a estimé que cette position de l'assureur n'avait pas pour effet de limiter le libre choix de l'avocat, mais la juridiction d'appel a préféré interroger la Cour de justice.
Après avoir rappelé qu'elle avait jugé que « la disposition qui prévoit le libre choix du représentant a une portée générale et une valeur obligatoire » (point n° 29 de l'arrêt), la C.J.U.E. a précisé que :

« La liberté de choix au sens de l'article 4, paragraphe 1er, de la directive 87/344 n'implique pas l'obligation pour les États membres d'imposer aux assureurs, en toute circonstance, la couverture intégrale des frais exposés dans le cadre de la défense d'un assuré indépendamment du lieu où est établie la personne professionnellement habilitée pour la représentation de celui-ci par rapport au siège de la juridiction ou de l'administration compétente pour connaître d'un litige, pour autant que cette liberté ne soit pas vidée de sa substance. Tel serait le cas si la limitation apportée à la prise en charge de ces frais rendait impossible de facto un choix raisonnable, par l'assuré, de son représentant. En tout état de cause, il revient aux juridictions nationales éventuellement saisies à cet égard de vérifier l'absence d'une limitation de cette nature » (point n° 33 de l'arrêt).

La Cour a ensuite souligné que :

« En l'occurrence, M. Stark a pu choisir son avocat sans que l'assureur s'y oppose. De plus, il ne serait censé supporter que les frais liés à l'éloignement du cabinet de son avocat par rapport au siège de la juridiction compétente, ce qui, sous réserve des vérifications à opérer à cet égard par la juridiction de renvoi, n'apparaît pas, en règle générale, être de nature à entraver la liberté de choix de son avocat » (point n° 35 de l'arrêt).

Le dispositif de l'arrêt est le suivant :

« L'article 4, paragraphe 1er, de la directive 87/344/CEE du Conseil, du 22 juin 1987, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance-protection juridique, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une disposition nationale en vertu de laquelle il peut être convenu que l'assuré en protection juridique ne peut choisir, pour la représentation de ses intérêts dans les procédures administratives ou judiciaires, qu'une personne professionnellement habilitée à cet effet qui a son cabinet au lieu du siège de la juridiction ou de l'administration compétente en première instance, pour autant, afin de ne pas vider de sa substance la liberté du choix, par l'assuré, de la personne mandatée pour le représenter, que cette limitation ne concerne que l'étendue de la couverture, par l'assureur de la protection juridique, des frais liés à l'intervention d'un représentant et que l'indemnisation effectivement payée par cet assureur soit suffisante, ce qu'il revient à la juridiction de renvoi de vérifier ».

14. L'O.B.F.G. souligne que dans le dossier ayant abouti au prononcé de l'arrêt Stark, la limitation à la prise en charge des frais et honoraires de l'avocat librement choisi par l'assuré était strictement cantonnée aux frais découlant de l'éloignement de cet avocat par rapport à la juridiction devant laquelle le dossier devait être plaidé.
Il ajoute que c'est parce que cette limitation ne concernait que ces frais que la Cour a validé la limitation en question, et que la situation est totalement différente dans le cadre du présent litige.
Selon l'O.B.F.G., en l'espèce, Arag ne cherche pas à limiter la prise en charge de frais liés à l'éloignement d'un avocat mais cherche, en amont, à orienter dès le départ ses assurés vers des avocats avec lesquels elle est en relation d'affaires et avec lesquels elle a conclu des conventions d'honoraires qui lui sont plus favorables.
15. Le tribunal est d'avis que la jurisprudence précitée de la Cour de l'Union européenne ne permet pas à Arag de légitimer son système de couverture.
En effet, dans l'arrêt Stark, la Cour valide le système de la loi autrichienne qui autorise les assureurs à limiter leur intervention selon un critère territorial et objectif : la loi autrichienne dispose que l'assureur peut imposer à son assuré qu'il n'obtiendra que le remboursement des frais normalement facturés par un avocat établi au lieu du siège du tribunal saisi du litige, et la Cour valide cette limitation, pour autant, précise-t-elle, que cette limitation n'ait pas pour effet de vider la liberté de choix de l'avocat de sa substance, et pour autant que l'indemnisation obtenue par l'assuré soit suffisante.
Le raisonnement suivi par la Cour de justice est le suivant :
  • la question de l'étendue de la couverture des frais liés à l'intervention de l'avocat ne fait pas l'objet d'une réglementation expresse par la directive 87/344 (point 32) ;
  • dès lors, la liberté de choix au sens de la directive n'implique pas l'obligation pour l'assureur de fournir une couverture intégrale, et l'assureur peut stipuler une limitation géographique au remboursement des frais de l'avocat choisi (point 33) ;
  • toutefois, il faut éviter que la limitation de la couverture soit telle qu'elle vide de sa substance la liberté de choix de l'avocat par l'assuré, ce qu'il appartient au juge du fond de vérifier (point 33 in fine) ;
  • dans le cas d'espèce, Monsieur Stark a pu librement choisir son avocat sans opposition de son assureur. Il ne devra que supporter les frais liés à l'éloignement de cet avocat par rapport à la juridiction saisie, ce qui n'apparaît pas être de nature à entraver la liberté de choix de son avocat, (point 35) ;
  • dès lors, la limitation territoriale autorisée par la loi autrichienne ne viole pas le principe de la liberté de choix de l'avocat consacré par la directive 87/344.
16. En l'espèce la situation est toute autre.
Arag propose un contrat d'assurance comprenant une limitation de couverture sous forme de plafond à son intervention et de franchise laissée à charge de l'assuré.
Comme telles, ces deux limitations sont en principe acceptables, pour autant qu'elles répondent aux critères dégagés par la jurisprudence européenne précitée, à savoir qu'elles ne vident pas la liberté de choix de l'avocat de sa substance et que la couverture offerte soit suffisante.
Si Arag s'en était tenue à ces deux limitations, il est probable qu'elle n'aurait encouru aucune critique. Mais Arag a décidé d'aller au-delà, en empiétant sur le libre choix de l'avocat, qui est une prérogative exclusive de ses assurés.
Alors que la réglementation européenne (et la loi belge) impose(nt) que l'assureur garantisse « le libre choix de l'avocat » à son assuré, Arag s'empare de cette liberté de choisir en effectuant, elle-même, un pré-choix d'avocats. En outre, loin de présenter ce pré-choix comme une simple liste d'avocats pouvant être librement choisis par l'assuré, elle ajoute que, si l'assuré porte son choix sur un des avocats pré-choisis, il bénéficiera d'avantages qui ne sont réservés qu'aux assurés qui choisissent leur avocat dans la liste du pré-choix d'Arag
Ce faisant, Arag s'arroge une prérogative qui ne lui est pas accordée par la réglementation, mais, qu'au contraire, Arag doit garantir à l'assuré. Elle exerce une partie du choix. Elle assortit son pré-choix d'incitants financiers qui peuvent conduire l'assuré à abandonner une partie de sa liberté de choix pour la limiter à un nom figurant déjà sur une liste d'avocats agréés par Arag. À l'évidence, dans un tel système, la liberté de choix devant être accordée à l'assuré n'est plus totale. Ou, autrement dit, le choix de l'avocat par l'assuré n'est plus totalement libre.
17. Il suffit, du reste, de lire les déclarations d'Arag en conclusions pour constater qu'Arag reconnaît cette limitation :

« Dès lors qu'un sinistre est déclaré à Arag par un client assuré, ce dernier se verra offrir, au moment de l'ouverture du dossier sinistre, plusieurs possibilités :

(a) soit il aura le libre choix de l'avocat et pourra bénéficier du plafond d'intervention standard conforme au marché, de 20.000 euros (ou, pour des couvertures spécifiques telles que le divorce ou les litiges en matière de construction, de 7.500 euros),

(b) soit il pourra bénéficier d'une option à son produit, comprenant un plafond supérieur, de 30.000 euros (ou, pour des couvertures spécifiques telles que le divorce ou les litiges en matière de construction, de 10.00 euros), et voir sa franchise supprimée :

1. dans la phase amiable de son litige, c'est à dire sans intervention d'un avocat,

2. ou s'il choisit librement un avocat dans la liste qu'Arag lui aura fournie ».

Cette présentation de son produit par Arag confirme que ce n'est que dans l'hypothèse (a) qu'il est question de « libre choix de l'avocat ».
Or, ainsi que le souligne la doctrine,

« l'indépendance de l'avocat et le climat de confiance qui doit exister entre celui-ci et le client exigent que dans le cadre de la protection juridique, l'assuré puisse choisir la personne la mieux à même de défendre ses intérêts, sans être tenu de s'en remettre à un avocat désigné par l'assureur » (G. Levie, « La directive sur l'assurance protection juridique du 22 juin 1987 », in Roger O. Dalcq, Mélanges Responsabilités et assurances, Bruxelles, Larcier, 1994, p. 376).

Et également :
« Ces deux arrêts [l'arrêt Stark et l'arrêt Eschig] confirment que le libre choix de l'avocat est un principe général de portée obligatoire. Toutefois, bien que ressortant aux droits de la défense, il ne s'agit pas d'un droit absolu. Il est donc possible de limiter la couverture d'une assurance de protection juridique, à condition de ne pas porter atteinte à la substance du droit consacré » (J.-F. Jeunhomme et J. Wildemeersch, L'assurance protection juridique, Limal, Anthemis, 2012, p. 79).
18. Il suit de ce qui précède que le produit LegalU proposé par Arag viole le principe du libre choix de l'avocat. Dès lors, en commercialisant ce produit, Arag se rend coupable d'une pratique contraire aux pratiques honnêtes du marché, laquelle doit être censurée.
19. Quant aux mesures de cessation demandées par l'O.B.F.G., le dispositif de ses conclusions est le suivant :

« Dire pour droit que la publicité et la commercialisation que fait la société Arag de son produit d'assurance « LegalU » sont illégales en ce que les avantages financiers vantés par cette publicité au profit des seuls assurés qui accepteraient de faire appel à un avocat « labellisé »/partenaire d'Arag portent atteinte au principe du libre choix de l'avocat.

Par conséquent, condamner la société Arag à mettre fin à cette publicité et cette commercialisation dans les huit jours qui suivent la signification de l'ordonnance à intervenir sous peine d'une astreinte de 500,00 euros par jour et par contrat, ce qui implique de :

- retirer définitivement la publicité incriminée ;

- écrire dans les huit jours de l'ordonnance à intervenir à tous les assurés qui auraient souscrit le contrat d'assurance litigieux pour les informer du fait que la distinction incriminée prend fin et, partant, que tous les assurés bénéficieront désormais des avantages financiers annoncés initialement au profit des seuls assurés qui accepteraient de choisir un avocat "labellisé/partenaire Arag" ».

S'agissant de la demande de l'O.B.F.G. tendant à la condamnation d'Arag à adresser un courrier à ses assurés ayant souscrit le contrat litigieux, Arag objecte qu'elle ne peut modifier unilatéralement les conditions contractuelles et qu'elle ne pourrait modifier les polices déjà conclues qu'aux échéances annuelles des contrats, moyennant un préavis de trois mois.
L'O.B.F.G. objecte que ni le principe de l'annalité des contrats, ni celui de la convention-loi ne peuvent justifier que des contrats qui comportent une violation manifeste à un principe consacré par les droits européen et belge soient maintenus en l'état.
Il précise en outre qu'une modification favorable à l'assuré est toujours autorisée, même lorsque la disposition légale est impérative, et que telle est précisément la raison pour laquelle il lui parait logique que les avantages financiers soient accordés à tous les assurés d'Arag qui ont souscrit le produit « LegalU » et non uniquement à ceux qui accepteraient de renoncer au libre choix de leur avocat.
20. Il n'appartient toutefois pas au juge des cessations de s'immiscer dans les relations contractuelles nouées entre une partie et des tiers, et il ne lui appartient pas davantage d'imposer à une partie d'accorder à des tiers certaines conditions contractuelles.
Un ordre de cessation condamnant Arag à mettre fin à la publicité litigieuse et à mettre fin à la commercialisation du produit LegalU tel que vanté par cette publicité suffit à couvrir tant la campagne de publicité, que l'exécution des contrats existants, et la conclusion de nouveaux contrats de protection juridique.
Il n'y a dès lors pas lieu de condamner Arag à écrire à ses assurés. Il suffit de lui interdire de poursuivre la commercialisation du produit LegalU tel que visé par la présente procédure, que ce soit vis à vis de ses assurés ayant déjà souscrit un contrat, qu'envers de nouveaux clients. Pour le surplus, Arag décidera quelle est la manière la plus appropriée d'avertir ses assurés du fait que certaines conditions de son produit LegalU ne peuvent désormais plus recevoir exécution.
21. Arag conteste la demande d'assortir l'ordre de cessation d'une astreinte. Celle-ci paraît toutefois nécessaire à assurer la bonne exécution de l'ordre de cessation.
Arag plaide qu'elle aurait besoin d'un délai d'un mois pour prévenir ses courtiers et imprimer de nouveaux documents. Eu égard aux moyens de communication existants, un délai de dix jours après la signification du jugement est suffisant pour transmettre l'information. L'impression de nouveaux documents peut se faire ultérieurement.
22. Quant à la publication demandée par l'O.B.F.G., il convient de rappeler les ternies de l'article XVII 4 C.D.E., selon lequel des mesures de publicité ne peuvent être ordonnées que si elles sont de nature à contribuer à la cessation de l'acte incriminé ou de ses effets.
En l'espèce, c'est l'interdiction de la poursuite de la publicité et de la commercialisation du produit litigieux qui assurera l'efficacité de la cessation. La demande de publication du jugement à destination du grand public manque de fondement.
23. Enfin, il suit des développements qui précèdent qu'il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.
24. Sur reconvention, Arag demande la condamnation de l'O.B.F.G. à lui payer des dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation à la suite d'un article paru dans la publication de l'O.B.F.G. « La Tribune » du 13 décembre 2018.
Le texte de cet article n'est nullement attentatoire à la réputation d'Arag, et ce d'autant moins que l'analyse juridique qui y est exposée est confirmée par le présent jugement de cessation.
La demande reconventionnelle manque de fondement.
Par ces motifs, (...)
Recevons la demande, la disons fondée dans la mesure ci-après précisée et en conséquence,
Constatons et disons pour droit que la publicité et la commercialisation que fait la S.E. Arag de son produit d'assurance « LegalU » sont illégales en ce que les avantages financiers vantés par cette publicité au profit des seuls assurés qui accepteraient de faire appel à un avocat « labellisé »/partenaire d'Arag portent atteinte au principe du libre choix de l'avocat.
En conséquence, ordonnons à la S.E. Arag de mettre fin à cette publicité et à cette commercialisation dans les dix jours qui suivent la signification du présent jugement, sous peine d'une astreinte de 500,00 euros par jour d'émission de la publicité litigieuse ou par contrat exécuté ou conclu en violation de la présente interdiction.
Disons que l'astreinte sera plafonnée à un montant de 100.000 euros ;
(...)
Déboutons le demandeur du surplus de sa demande.
Déboutons la S.E. Arag de sa demande reconventionnelle.
Siég. :  Mme F. Jacques de Dixmude.
Greffier : Mme S. Teheux.
Plaid. : MesV. Callewaert et A. Catteau.

 



Fermer

Sommaire

En offrant un double avantage financier (plafond d'intervention supérieur et absence de franchise) aux seuls assurés qui accepteraient de faire appel à un avocat faisant partie du pool d'avocats constitué par celui-ci, l'assureur protection juridique porte atteinte au principe du libre choix de l'avocat tel que consacré de manière impérative par l'article 156 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.

La publicité et la commercialisation de pareil produit d'assurance constitue une pratique illégale, contraire aux pratiques honnêtes du marché.

Mots-clés

Assurances - Protection juridique - Libre choix de l'avocat - Avantages financiers en cas d'appel à un avocat « labellisé » - Atteinte à la liberté de choix - Pratique du marché illégale - Cessation de publicité et de commercialisation

Date(s)

  • Date de publication : 20/12/2019
  • Date de prononcé : 11/09/2019

Référence

Tribunal de l'entreprise francophone Bruxelles (président), 11/09/2019, J.L.M.B., 2019/42, p. 2010-2017.

Branches du droit

  • Droit économique, commercial et financier > Assurances > Assurances terrestres > Assurances de dommage
  • Droit économique, commercial et financier > Pratiques du marché > Action en cessation
  • Droit économique, commercial et financier > Pratiques du marché > Pratiques interdites > Pratiques commerciales déloyales à l'égard des consommateurs
  • Droit économique, commercial et financier > Pratiques du marché > Information du marché > Publicité

Éditeur

Larcier

User login