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22/04/2016
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L'imputation publique d'une relation extraconjugale est-elle diffamatoire ?


Jurisprudence - Droit pénal et procédure pénale

Calomnie et diffamation - Atteinte à l'honneur ou à la considération - Notion - Imputation d'une infidélité conjugale (non). .

La Cour de cassation de France rappelle que l'atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne suppose que le comportement qui lui est imputé soit constitutif d'une infraction pénale ou considéré comme contraire aux valeurs morales et sociales communément admises. L'adultère ayant été dépénalisé en France depuis 1975, la Cour de cassation devait trancher la question de savoir si une infidélité conjugale était encore, à l'heure actuelle, considérée comme contraire aux valeurs morales et sociales communément admises par la société française. En l'espèce, l'époux, prétendu volage, demandeur en cassation, considérait que les révélations publiques concernant sa vie privée publiées dans un livre étaient de nature à porter atteinte à son honneur et à sa considération.
La Cour a confirmé l'arrêt de la cour d'appel de Paris pour lui répondre que l'évolution des moeurs comme celle des conceptions morales ne permettaient plus de considérer que l'imputation d'une infidélité conjugale serait, à elle seule, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération.
Il est permis de se demander ce qu'en penserait la Cour de cassation de Belgique.
Rappelons que, aux termes de l'article 443 du Code pénal belge, la diffamation requiert l'imputation d'un fait de nature à porter atteinte à l'honneur ou à exposer au mépris public, c'est-à-dire d'un fait attentatoire à l'honneur ou à la considération de la personne d'autrui [1]. Bien que la notion d'atteinte à la considération d'autrui n'ait finalement pas été utilisée à l'article 443, elle apparaît toutefois dans l'intitulé du chapitre V du titre VIII du livre II du Code pénal et est fréquemment retenue par la jurisprudence comme un synonyme d'exposition au mépris public. Ces termes doivent en réalité se lire comme exprimant une seule et même notion, celle d'une atteinte réelle et actuelle, non simplement hypothétique ou future, portée à l'honneur d'autrui, l'honneur étant compris comme tout ce qui constitue la dignité, la valeur morale de l'homme [2], son intégrité morale, son honnêteté, sa probité [3] ou encore sa loyauté, en bref les vertus qu'il possède, alors que la considération, à envisager sous l'angle des rapports sociaux, renvoie à la réputation dont l'individu est entouré et à l'estime qu'il a acquise de ses concitoyens.
Le caractère attentatoire à l'honneur ou à la considération doit être apprécié de manière tout à la fois subjective et objective. Étant une infraction de plainte, la loi requiert que la personne concernée par l'imputation l'estime attentatoire à son honneur ou à sa considération et sollicite l'exercice de poursuites pénales à cet égard. Les cours et tribunaux ne peuvent toutefois se fonder exclusivement sur le sentiment personnel de la victime [4], auquel cas l'existence de l'infraction serait subordonnée à des éléments particulièrement subjectifs. Il est dès lors requis que l'imputation dirigée à l'encontre de celui qui s'en plaint puisse être objectivement considérée comme attentatoire à son honneur ou de nature à l'exposer au mépris public, c'est-à-dire dans la conception que peut s'en faire l'opinion générale et non la seule personne offensée.
Imputer à autrui une infidélité conjugale est-il ou non, en Belgique, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération du conjoint volage ? Certes, l'entretien d'une concubine dans la maison conjugale et l'adultère de l'épouse ont été respectivement dépénalisés par les lois des 28 octobre 1974 et du 20 mai 1987. Et, depuis la loi du 27 avril 2007, l'adultère n'est plus une injure grave susceptible de fonder, en soi, une cause de divorce. Toutefois, l'article 213 du Code civil belge continue d'énoncer, à l'instar de la France, que « les époux ont le devoir d'habiter ensemble ; ils se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance » [5]. Partant, sans faire preuve de pudibonderie, imputer à un époux une relation extraconjugale revient à dire qu'il n'a pas respecté un devoir civil de fidélité conjugale et, nous semble-t-il également, un devoir moral envers son conjoint. La Cour de cassation de France estime que l'imputation d'une infidélité conjugale, à elle seule, n'emporte plus la réprobation unanime qui s'attache aux comportements considérés comme contraires aux valeurs morales et sociales communément admises. Sans doute parce que ce comportement est socialement répandu. La question ne se pose toutefois pas nécessairement en termes de statistique. Si même l'adultère devait être répandu dans la société belge, encore que nous ne disposions pas de chiffre à cet égard, cela suffit-il à considérer que le fait d'imputer publiquement ce comportement à autrui ne serait plus constitutif d'une infraction pénale ? L'éventuelle propension des conjoints belges (et français) à aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte, si l'on peut ainsi s'exprimer, suffirait-elle à banaliser les galipettes au point que notre société en viendrait à estimer que l'infidélité conjugale, en raison de l'évolution tant des moeurs que des conceptions morales, ne serait plus attentatoire à l'honneur ou à la considération ? Question épineuse et délicate.
S'agissant du divorce, la Cour de cassation de Belgique a considéré que l'adultère ne constituait une cause de divorce que s'il était offensant, ce qui signifie qu'il ne l'était pas nécessairement, tout en ajoutant que le juge du fond pouvait décider que, à défaut d'éléments contraires, il devait être considéré comme tel [6]. En d'autres termes, entre conjoints, l'adultère pouvait, jusqu'en 2007, être considéré, jusqu'à la preuve du contraire, comme offensant. Le caractère injurieux de l'adultère ne résultait pas du seul manquement intrinsèque aux devoirs nés du mariage mais devait être apprécié en tenant compte des circonstances de la cause, notamment de son caractère d'offense à l'égard du conjoint [7], caractère qui était notamment absent lorsque l'épouse ou l'époux trompé avait provoqué l'adultère de son conjoint [8]. Le lecteur ne perdra toutefois pas de vue que ces considérations étaient valables entre les conjoints, dans le cadre de leurs relations interpersonnelles. L'affirmation selon laquelle l'adultère n'est pas nécessairement offensant ne concernait dès lors que les époux entre eux, dans le cadre de leur vie de couple et de ses aléas. Dès lors, le fait d'imputer à autrui une relation sexuelle extraconjugale pourrait encore être considéré comme constitutif de diffamation en droit pénal pourvu, bien évidemment, qu'il soit considéré que pareil comportement est attentatoire à la dignité, à la valeur morale de l'homme ou de la femme volage, à son honnêteté ou encore sa loyauté.
La question se pose de savoir si notre Cour de cassation est prête à suivre sa grande soeur française pour considérer que l'imputation d'une infidélité conjugale n'est pas, à elle seule, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération ? L'avenir nous le dira sans doute.

 


[1] Cass., 20 février 2013, Pas., 2013, p. 456.
[2] Discussion du titre VIII du livre II du Code pénal à la Chambre des représentants, Législation criminelle de la Belgique, tome III, Bruxelles, Bruylant, 1872, p. 328, n° 48.
[3] Mons, 24 novembre 2010, A. & M., 2011, p. 230.
[4] Mons, 24 novembre 2010, A. & M., 2011, p. 230.
[5] L'article 212 du Code civil français, au chapitre « Des devoirs et des droits respectifs des époux », énonce toutefois que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ».
[6] Cass., 14 septembre 2006, Pas., 2006, p. 1751 ; Cass., 4 septembre 1986, Pas., 1987, I, p. 23.
[7] Cass., 29 mars 1973, Pas., 1973, I, p. 725.
[8] Cass., 29 mars 1973, Pas., 1973, I, p. 725 ; Cass., 30 janvier 1936, Pas., 1936, I, p. 137.
[9] Les opinions exprimées par l'auteur lui sont personnelles et n'engagent en rien les institutions auxquelles il appartient.


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Date(s)

  • Date de publication : 22/04/2016

Auteur(s)

  • Kuty, F.

Référence

Kuty, F., « L'imputation publique d'une relation extraconjugale est-elle diffamatoire ? », J.L.M.B., 2016/16, p. 744-746.

Branches du droit

  • Droit pénal > Infractions et leurs peines > Crimes et délits contre les personnes > Calomnie et diffamation

Éditeur

Larcier

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