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19/09/2017
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Cour du travail Mons (chambre des vacations), 19/09/2017


Jurisprudence - Droit du travail

J.L.M.B. 18/146
Contrat de travail - Travailleurs protégés - Licenciement pour motif grave -
Prestations de travail durant l'incapacité de travail .
Le travailleur qui, pendant la suspension du contrat de travail pour raison médicale, effectue des prestations de travail qui impliquent une activité physique similaire à celle que requièrent les prestations pour son employeur adopte un comportement fautif. La similitude des tâches dénie la réalité de l'incapacité de travail.
Par sa gravité, la faute est constitutive d'un motif grave et permet d'autoriser l'employeur à procéder au licenciement du travailleur conformément à l'article 4 de la loi du 19 mars 1991.

(Alain / S.A. X. )


Vu le jugement contradictoire prononcé le 6 juin 2017 par le tribunal du travail du Hainaut, division de Binche.
(...)
1.3. Quant au fondement des griefs constitutifs de motif grave reprochés à Alain
I.3.a. Rappel des principes applicables
En principe, un travailleur en incapacité de travail ne peut pas exercer une activité qu'elle soit accomplie à titre lucratif ou à titre gratuit puisqu'il est, d'une part, reconnu incapable de travailler et que, d'autre part, il bénéficie d'un salaire garanti à charge de son employeur ou d'indemnités d'incapacité de travail allouées par son organisme assureur.
Ce principe doit, toutefois, être nuancé.
Dès lors que l'incapacité de travail est évaluée en relation avec le travail convenu, il est possible que le travailleur, tout en étant reconnu incapable d'effectuer son travail, puisse exécuter un autre travail (lucratif ou non).
En d'autres termes, toute activité ou tout travail réalisé durant la période d'incapacité ne démontre pas (forcément) l'aptitude du travailleur d'exercer le travail convenu (Cass., 8 février 1963, Pas., 1963, I, p. 653 ; K. Della Selva, « Exercice d'une activité professionnelle complémentaire pendant une période d'incapacité de travail : motif grave ou pas ? », A.E.B. 4, 17 janvier 2016, Kluwer, pp. 3 et suivantes).
Très clairement, pour être constitutive d'une faute grave, une activité exercée pendant une période d'incapacité doit revêtir l'une des caractéristiques suivantes :
  • soit elle doit violer une clause contractuelle (C. trav. Mons, 3 octobre 1991, J.L.M.B., 1992, p. 797) ;
  • soit elle est de nature à retarder l'échéance de la guérison (C. trav. Mons, 13 octobre 2000, J.T.T., 2001, p. 83) ;
  • soit elle est, par essence même, révélatrice de l'absence de réalité de l'incapacité de travail et, partant, d'une fraude contractuelle. Tel sera notamment le cas lorsque le travailleur exerce un travail identique à celui accompli professionnel-lement (C. trav. Liège, 4 février 2002, Chron. D.S., 2003, p. 241) (voy. aussi : M. Davagle, L'incapacité de droit commun et les obligations qui en découlent pour l'employeur et le travailleur, Kluwer, 2006, p. 75).
Ainsi, pour apprécier si l'exercice d'une activité pendant une période d'incapacité de travail constitue un motif grave, il faut, donc, avoir égard à l'ampleur de l'activité et au caractère similaire des activités par rapport à celles du contrat de travail dont l'exécution est suspendue.
1.3.b. Application des principes au cas d'espèce
En l'espèce, aux termes des courriers visés à l'article 4, paragraphe 1er, de la loi du 19 mars 1991, il est fait grief à Alain d'avoir exercé une activité de chauffagiste durant sa période d'incapacité de travail en faisant un usage complet des capacités physiques (bras et main gauches) dont la prétendue altération avait justifié son incapacité de travail depuis septembre 2016.
Ce constat a pu être établi grâce à une filature opérée par deux détectives privés au cours des journées des 6, 7, 8 et 9 mars 2017.
Selon la S.A. X., l'incapacité dont se prévalait Alain n'était pas réelle ou, à tout le moins, l'exercice de cette activité de chauffagiste a retardé ou empêché sa guérison et, partant, son retour au travail.
Elle estime, en outre, que ce comportement est d'autant plus grave qu'Alain disposait du statut de délégué syndical et qu'il représentait, à ce titre, les travailleurs « pour lesquels il devait être un exemple ».
Est, dès lors, parfaitement étranger aux débats l'examen de la problématique liée à l'autorisation ou non accordée par la S.A. X. à Alain de lui permettre d'exercer une activité complémentaire de chauffagiste en dehors de ses heures de travail.
En effet, le litige soumis à la cour de céans porte exclusivement sur la preuve de l'exercice par Alain d'une activité de chauffagiste durant sa période d'incapacité de travail dont il est allégué qu'elle impliquait des efforts physiques similaires à celles que requéraient ses prestations de technicien de maintenance pour le compte de la S.A. X.
Les constatations issues du rapport des détectives privés ainsi que les photos prises par ces derniers constituent un élément de preuve régulier dont le juge apprécie la force probante.
Le rapport final des détectives privés détaille les journées des 6, 7, 8 et 9 mars 2017.
(...)
À la lecture des deux rapports des détectives (rapport intermédiaire du 7 mars et rapport final du 10 mars), et à l'examen des nombreuses photos, la cour de céans, à l'instar du premier juge, relève que :
  1. Alain est constamment en habits de travail (y compris son pull avec son logo) et porte, également, des chaussures de chantier ;
  2. il se rend, à plusieurs reprises, dans différentes maisons avec du matériel à la main ;
  3. il transporte, à plusieurs reprises, du matériel ou des sacs dans son véhicule utilitaire ; il charge son coffre d'étagères ;
  4. il se rend à deux reprises dans des magasins d'outillage et de matériaux spécialisés en matière de chauffage (les 7 et 8 mars) ;
  5. il porte chez un particulier des sacs de sel Axa de cinq kilos dont il n'est pas contesté qu'ils sont utilisés pour les adoucisseurs d'eau liés aux installations de chauffage.
Alain prétend qu'il n'a exercé aucune activité durant son incapacité de travail et que rien ne l'interdisait de se rendre chez des connaissances ou auprès des membres de sa famille durant son incapacité de travail.
Or, les explications données par Alain lui-même dans ses conclusions pour expliquer ce qu'il faisait dans les immeubles où il s'est rendu et les S.M.S. échangés avec ses connaissances accréditent, au contraire, la thèse de la S.A. X.
Ainsi, il est établi qu'à I'(...), n° 2 à La Louvière (voir journée du 7 mars 2017 où il est resté de 9 heures 10 à 11 heures 17 avec du matériel de travail), il a été appelé pour des problèmes de chauffage ; le fait qu'il n'ait pas su réparer la panne n'a pas d'incidence.
Alain déclare ainsi que :

« À cette adresse, réside le fils d'un ancien collège avec lequel il travaillait chez son employeur précédent.

En rentrant de vacances, cette personne s'est rendue compte qu'elle connaissait des problèmes de chauffage. Comme cela avait toujours été le cas, elle a dès lors pris contact avec Alain pour avoir son avis sur la question.

Plusieurs S.M.S. ont été échangés pour tenter de régler le problème à distance. Comme cela ne fonctionnait pas, Alain est donc venu sur place pour voir quel était le problème. Le matériel qu'il tient dans sa main droite n'est autre qu'un tournevis et un testeur, outillage de poids on ne peut plus réduit que tout un chacun peut porter sans crainte de se blesser ou avoir chez soi ».

Comme l'observe, à juste titre, le premier juge, il s'agit d'un aveu d'Alain de ce qu'il a été appelé dans le cadre de son activité de chauffagiste et qu'il a tenté de résoudre lui-même le problème (même s'il n'y est pas parvenu). Il est, en effet, resté sur place deux heures ce qui est incompatible avec le temps nécessaire pour donner un simple conseil comme il le prétend !
De même, les explications fournies par Alain pour justifier sa présence à la (...), 12 à Chapelle-lez-Herlaimont et l'attestation de Madame W. (qui habite dans cet immeuble) confirment qu'Alain a été appelé suite à une panne de mazout. Il reconnaît, également, avoir pris l'initiative de se rendre au magasin H. pour acheter la pièce adéquate qu'il est allé déposer chez cette dame pour remettre la pompe en marche.
Alain a, ainsi, dû porter une pompe et l'amorcer ce qui suppose une certaine dextérité qu'il prétendait ne plus avoir pour travailler pour compte de la S.A. X.
Le même jour, le matin, Alain a déchargé un grand niveau (une latte ?) de son véhicule utilitaire et il y a chargé une caisse qu'il tenait à deux mains.
Pourquoi le faire si des travaux (par définition physiques) n'étaient pas en cours et qu'aucune activité aussi légère soit-elle n'avait été exercée pendant l'incapacité de travail ?
Alain affirme que la Fiat Doblo qu'il utilise (il dispose de deux véhicules, le second étant un pick-up) n'est pas un véhicule utilitaire. Comment, dès lors, expliquer que se trouvent dans le coffre de cette voiture toutes sortes de produits et du matériel, tel qu'il ressort clairement des photos produites en pièces 11.22 ainsi que 11.27 et 11.28 du dossier de l'intimée ?
L'examen des attestations produites et des échanges de S.M.S. ne révèle donc nullement qu'Alain se serait rendu dans les différentes maisons pour des visites de courtoisie ; au contraire, il a été appelé dans ces deux maisons pour des problèmes de chauffage.
Les outils utilisés de l'aveu même d'Alain (tournevis, testeur) étaient, également, utilisés dans le cadre de son travail au sein de la société.
Le port de sacs de sel de cinq kilos n'était pas davantage anodin car il démontre qu'Alain effectuait un travail rentrant dans le cadre de son activité professionnelle de chauffagiste.
Par ailleurs, Alain soutient qu'il était en phase de guérison début mars et que la S.A. X. était consciente qu'il était dans ses intentions de reprendre le travail le 16 mars 2017 au motif que son certificat se terminait le mercredi 15 mars (et pas un vendredi).
Cette allégation n'est, toutefois, pas démontrée.
En effet, Alain se borne à produire un certificat médical établi le 30 mars 2017 par le docteur D., radiologue, révélant un examen de l'épaule gauche « dans des limites normales » mais il se garde soigneusement de produire aux débats l'attestation de remise au travail du médecin-conseil de son organisme assureur, seul élément susceptible de prouver qu'il aurait recouvré une pleine capacité de gain à une date déterminée.
En réalité, la cour de céans constate, à l'instar du premier juge, qu'Alain était coutumier de la remise de certificats médicaux de courte durée. Outre les incapacités du 22 août au 26 août et du 27 août au 2 septembre 2016, il a été couvert à partir du 9 septembre 2016, par dix certificats médicaux de durée courte (variant de huit jours à trois semaines) établis tous par son médecin généraliste. Rien ne laissait présager un retour au travail au 16 mars 2017.
Enfin, la circonstance selon laquelle le compte de résultats affiche un bilan négatif pour l'année 2016 n'est pas non plus révélatrice de l'absence d'exercice d'une activité de chauffagiste durant son incapacité de travail : en effet, les faits litigieux se sont produits en 2017 et l'activité prohibée ne doit pas nécessairement présenter un caractère lucratif.
En conclusion, il appert que le dossier de la S.A. X. démontre qu'Alain a exercé, durant la suspension de son contrat de travail en raison de son état d'incapacité médicale, des activités physiques similaires à celles que requéraient ses prestations de technicien de maintenance au service de la S.A. X.
L'exercice de cette activité extracontractuelle pendant une période d'incapacité de travail, par sa similitude avec les tâches convenues, dénie la réalité de l'incapacité alléguée.
La gravité de cette faute découle de la fraude commise par ce travailleur qui trompe son cocontractant en lui déclinant une fausse incapacité de travail à dessein d'être libéré de son obligation de travailler à son service.
Les faits dénoncés par la S.A. X. aux termes des courriers des 10 mars 2017 adressés à Alain et à son organisation syndicale sont constitutifs d'un motif grave au sens de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 autorisant le licenciement pour motif grave d'Alain sans qu'il s'impose d'examiner si des circonstances aggravantes doivent être relevées à charge de ce dernier.
D'autre part, étant donné le type de faute grave reprochée à Alain, il est clair que celle-ci ne présente aucun rapport avec l'exercice de son mandat de délégué syndical.
Il n'existe pas non plus de lien indirect entre cette faute grave et l'exercice de son mandat par Alain, contrairement à ce qu'il affirme lorsqu'il se prévaut du fait que la S.A. X. voulait à tout prix « se débarrasser de lui ». À l'appui de ses propos, Alain invoque les remarques qui lui ont été adressées par son employeur et les avertissements qui lui ont été signifiés.
Or, ces remarques et avertissements avaient trait à l'exercice par Alain de ses prestations de travail, et non à l'exercice de son mandat syndical. La société a, ainsi, fait un usage légitime de son autorité en tant qu'employeur pour rappeler à l'ordre Alain lorsque ses prestations n'étaient pas satisfaisantes. La cour en veut pour preuve que, le 26 juin 2015, soit un mois après l'entrée en service d'Alain, Hector a dû avoir un entretien avec lui afin de lui faire savoir que ses prestations laissaient à désirer au regard des exigences de la fonction qu'il occupait. Il a alors simplement été demandé à Alain d'améliorer ses prestations ainsi que son rythme de travail et d'être plus impliqué dans sa fonction.
Suite à un double refus de la part d'Alain de prester le samedi alors que la ligne de production finissait d'être installée et que des prestations spéciales étaient requises, Hector a eu un entretien avec Alain, le 19 novembre 2015 et lui a ensuite signifié, le 24 novembre 2015, un avertissement reprenant également l'entretien du 26 juin.
À ce moment-là, Hector n'avait même pas eu de contacts avec le secrétaire du syndicat, Zachée, en vue de l'instauration d'une délégation syndicale au sein de l'entreprise.
Le premier entretien téléphonique entre les deux hommes a eu lieu le 9 décembre 2015 et a été confirmé par un e-mail du lendemain. Ce n'est qu'ensuite, par un courrier du 16 décembre 2015, qu'Alain a été désigné délégué. C'est donc pour les besoins de la cause qu'Alain tente de lier l'avertissement du 24 novembre 2015 aux discussions relatives à l'instauration d'une délégation syndicale qui se seraient tenues, selon lui, « vers la fin de l'année 2015 ».
Par ailleurs, la S.A. X. ne s'est pas opposée à la désignation d'Alain en qualité de délégué syndical alors qu'il ne remplissait pas la condition d'un an d'ancienneté requise au niveau sectoriel (voir l'article 10 de la C.C.T. du 12 février 2008 prévoyant la coordination du statut des délégations syndicales pour ouvriers conclue au sein de la C.P. n° 116 - A.R. du 27 octobre 2008).
Il s'impose, dès lors, de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a considéré que les faits reprochés à Alain aux termes des courriers du 10 mars 2017 étaient constitutifs d'un motif grave et en ce qu'il a autorisé à licencier Alain pour motif grave conformément à l'article 4 de la loi du 19 mars 1991.
(...)

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  MM. X. Vlieghe., B. Cornez et Ph. Martin.
Greffier : Mme V. Henry.
Plaid. : Mme E. Lovecchio et MeJ. Granado (loco MeL. Vanaverbeke).

 



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Le travailleur qui, pendant la suspension du contrat de travail pour raison médicale, effectue des prestations de travail qui impliquent une activité physique similaire à celle que requièrent les prestations pour son employeur, adopte un comportement fautif. La similitude des tâches dénie la réalité de l'incapacité de travail.

Par sa gravité, la faute est constitutive d'un motif grave et permet d'autoriser l'employeur à procéder au licenciement du travailleur conformément à l'article 4 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel.

Mots-clés

Contrat de travail - Travailleurs protégés - Licenciement pour motif grave - Prestations de travail durant l'incapacité de travail

Date(s)

  • Date de publication : 25/10/2019
  • Date de prononcé : 19/09/2017

Référence

Cour du travail Mons (chambre des vacations), 19/09/2017, J.L.M.B., 2019/34, p. 1605-1610.

Branches du droit

  • Droit social > Contrat de travail > Fin du contrat de travail > Motif grave
  • Droit social > Contrat de travail > Suspension du contrat de travail > Maladie ou accident
  • Droit social > Organisation de l'entreprise > Protection contre le licenciement des délégués du personnel

Éditeur

Larcier

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