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13/01/2014
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Tribunal correctionnel Nivelles (3e chambre), 13/01/2014


Jurisprudence - Droit pénitentiaire

J.L.M.B. 14/267
I. Infractions diverses - Menaces par gestes et emblèmes - Prisons - Détenu - État de nécessité (non) - Infraction - Peine - Dépassement du délai raisonnable - Déclaration de culpabilité - Dommage moral.
II. Prisons - Droits de l'homme - Traitements inhumains et dégradants - Coups et blessures volontaires et meurtres - Infraction - Peine - Dépassement du délai raisonnable - Déclaration de culpabilité - Dommage moral.
1. Le détenu qui a menacé par gestes ou emblèmes et qui a injurié des agents pénitentiaires ne peut invoquer l'état de nécessité déduit du traitement dégradant qu'il subit, les faits mis à sa charge n'apparaissant pas comme la seule solution de nature à éviter le péril auquel il aurait été soumis. La durée des poursuites ayant dépassé le délai raisonnable, il y a lieu de ne prononcer qu'une déclaration de culpabilité. Il convient de condamner ce détenu à payer aux agents pénitentiaires un euro à titre de dommage moral.
2. Le détenu placé dans une cellule nue, non chauffée, entravé, pieds et mains menottés, est victime d'un traitement dégradant réprimé par l'article 417quinquies du Code pénal.
Lorsque ce détenu présente des lésions qui peuvent être en rapport avec la mise en place de menottes solidarisées par des chaînes, la prévention de coups et blessures est établie dans le chef des personnes responsables de cette situation.
La durée des poursuites ayant dépassé le délai raisonnable, il y a lieu de ne prononcer qu'une déclaration de culpabilité à l'égard des agents pénitentiaires dont la responsabilité a été établie. Il convient de condamner ces agents pénitentiaires à payer au détenu 1.000 euros par jour de détention, soit 11.000 euros, cette demande n'étant pas contestée quant à son montant, fût-ce à titre subsidiaire.

(Le procureur du Roi et F. B. / X. )


(...)
1. Au pénal (...)
1.3. En droit

1.3.1. Les préventions AI à AIV, B et C.

II est reproché à F. B. d'avoir proféré des menaces par gestes ou emblèmes à l'encontre des agents pénitentiaires A, B, C et D et d'avoir, à plusieurs, reprises, injurié les agents E, D, A, B, C et F.
La réalité des injures et menaces qui auraient été proférées est établie à suffisance par les différents rapports versés au dossier.
Les membres de la commission de surveillance de la prison d'Ittre ont eux aussi mentionné dans leur rapport du 18 décembre 2007 que Monsieur B. se montrait verbalement agressif envers les surveillants.
La matérialité de ce comportement n'est pas contestée.
Monsieur B. considère qu'il bénéficie d'une cause de justification étant l'état de nécessité eu égard à la situation dans laquelle il se trouvait.
Ainsi qu'il sera examiné ci-après, il est établi que, durant toute sa période de détention à la prison d'Ittre en décembre 2007, F. B. est resté entravé et placé en cellule nue.
Il n'apparaît, toutefois, pas que les faits mis à sa charge auraient été la seule solution de nature à éviter le péril auquel il aurait été soumis.
Les préventions AI à AIV, B et C sont établies à son encontre.
S'il convient de relever l'inadéquation de ce comportement, il faut aussi le situer dans le contexte plus général tel qu'il sera développé ci-après.
Il faut aussi souligner que le délai raisonnable pour être jugé paraît dépassé et ce, sans que cela ne puisse être imputable à la faute du prévenu.
Au vu de telles considérations, il est adéquat, en application de l'article 21ter du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle de prononcer à l'encontre de F. B. une simple déclaration de culpabilité.

1.3.2. La prévention D

1.3.2.1. Il est reproché à E, C, F, G, H et I d'avoir, à la prison d'Ittre, entre le 6 décembre 2007, date de son arrivée, et le 16 décembre 2007, date de son départ vers un autre établissement pénitentiaire, soumis F. B. à un traitement inhumain. (...)
En l'espèce, F. B. fait grief aux personnes précitées de l'avoir maintenu entravé dans une cellule d'isolement. (...)
1.3.2.3. Une circulaire ministérielle n° 1792 du 11 janvier 2007 règlemente le recours à des mesures de coercition directe.
Il y est ainsi prévu :
  • que l'usage de la coercition directe, c'est-à-dire de la contrainte physique, n'est autorisé pour assurer l'ordre ou la sécurité que lorsqu'aucun autre moyen ne permet d'atteindre ce même objectif,
  • qu'il doit toujours être proportionnel à la menace, raisonnable, adapté à la situation, le moins préjudiciable possible et pour la durée strictement nécessaire,
  • qu'avant de recourir à la coercition directe, il convient d'en brandir d'abord la menace, sauf lorsque les circonstances ne le permettent pas,
  • que tout recours à la coercition directe doit être consigné par écrit dans un registre qui pourra à tout moment être contrôlé par les organes de surveillance et qui reprendra la date, l'identité du ou des agents amenés à exercer la contrainte physique, l'identité de la personne à l'encontre de laquelle la contrainte a été exercée, les circonstances ayant justifié le recours à la contrainte, la mesure utilisée, l'heure exacte de début et de fin de la mesure. (...)
1.3.2.9. Dans un rapport relatif aux conditions de détention de Monsieur F. B. à la prison d'Ittre, la commission de surveillance de cette prison s'est inquiétée des conditions de détention de celui-ci.
Il y est, notamment, indiqué :
  • que deux membres de la commission de surveillance ont rencontré ce détenu le 7 décembre 2007 et ont constaté qu'il était en cellule nue et entravé (pieds et mains menottés) et que la cellule n'était pas chauffée,
  • que lorsqu'ils l'ont à nouveau rencontré le 13 décembre 2007, les mêmes membres, qui lors de leur visite précédente avaient interpellé les services pénitentiaires pour que la cellule soit chauffée, ont constaté que cette cellule était à présent chauffée, que Monsieur B. était toujours en cellule nue et toujours entravé de la même manière, qu'il n'avait pas pu prendre de douche, ni changer de vêtements depuis son arrivée, qu'il avait la possibilité de se laver à l'évier mais très difficilement vu les entraves,
  • que la commission s'interroge sur la légitimité et l'opportunité d'imposer une mesure aussi contraignante et humiliante que le placement de menottes aux pieds et aux mains, alors que le détenu est placé en cellule nue et que les contacts avec les surveillants peuvent avoir lieu à travers les grilles de la seconde porte.
1.3.2.10. Le traitement inhumain réprimé par l'article 417quater du Code pénal est défini comme tout traitement par lequel de graves souffrances mentales ou physiques sont intentionnellement infligées à une personne (D. Vandermeersch, « La torture, le traitement inhumain et le traitement dégradant », Les infractions, vol. 2, Les infractions contre les personnes, Larcier 2010, p. 470).
L'infraction de traitement inhumain se distingue également par la gravité de l'acte en tant qu'il exprime un mépris profond pour l'individu. Ainsi en est-il lorsque les violences et traitements traduisent un mépris total à l'égard de l'intégrité physique de la victime (D. Vandermeersch, op. cit.).
En l'espèce, s'il est manifeste au vu des éléments qui précèdent que F. B. a été soumis à un traitement particulièrement dégradant et à des conditions de détention totalement indécentes, un doute subsiste, cependant, quant au degré de gravité des souffrances qui lui ont ainsi été infligées.
L'article 417quinquies du Code pénal réprime quiconque soumet une personne à un traitement dégradant.
Suivant l'article 417bis, 3°, du Code pénal, le traitement dégradant est tout traitement qui cause à celui qui y est soumis, aux yeux d'autrui ou aux siens, une humiliation ou un avilissement grave.
Il résulte des éléments qui précèdent que monsieur F. B. a été soumis à un tel traitement.
Il convient, dès lors, de requalifier la prévention D sur la base de l'article 417quinquies du Code pénal.
Les parties ont été dûment avisées de cette éventuelle requalification lors des débats à l'audience du 29 novembre 2013. (...)

1.2.3. La prévention E

Une prévention de coups et blessures volontaires est mise à charge des prévenus E, C, F, G, H et I.
Aucun élément objectif du dossier ne laisse apparaître que des coups auraient été portés à F. B. lors de son admission à la prison d'Ittre ni lorsqu'il a été emmené vers la cellule.
Le commissaire J avait précisé, dans son audition du 10 janvier 2008, ne pas avoir vu que l'on portait de coups à ce détenu et ne pas avoir constaté qu'il portait des traces de coups lorsqu'il est sorti du secrétariat.
Dans son rapport d'expertise médico-légale du 12 février 2008, le docteur Y. qui a examiné F. B. le 12 décembre 2007 indique que celui-ci déclare avoir reçu des coups au niveau de la tête et du haut du dos.
L'expert précise n'avoir relevé aucune particularité traumatique au niveau du cuir chevelu et n'avoir constaté aucune bosse, ni plaie, ni contusion.
L'expert mentionne l'existence de lésions au niveau des chevilles du détenu.
Il indique que ces lésions peuvent être en rapport avec la mise en place de menottes solidarisées par des chaînes et précise que la sévérité des lésions cutanées peut suggérer qu'au moins initialement, les lésions ont été constituées sous l'effet de la pression prolongée exercée par des menottes particulièrement serrées mais éventuellement aussi des mouvements importants de l'intéressé dans le cadre de l'agitation.
Le fait que les entraves auraient été, dans un premier temps, particulièrement serrées ressort également de l'audition de I du 13 décembre 2007 puisqu'il y renseigne qu'elles avaient été desserrées quelque peu dans la soirée du 6 décembre.
Les dispositions de l'article 398 du Code pénal sont applicables lorsqu'un acte volontaire a été accompli, quel que soit le mobile qui l'a provoqué et alors même que son auteur n'aurait pas voulu le dommage qui en est résulté (voy. Cass., 25 février 1987, Pas., p. 761).
Le délit de coups et blessures volontaires ne requiert pas un dol spécial de sorte que la culpabilité de l'auteur concerne tous les effets de la violence commise, même si l'auteur ne l'a pas voulu ou souhaité au moment où les coups et blessures ont été portés (Cass., 15 février 2000, Larcier cass., n° 267, Bull. n° 120).
En l'espèce, le placement des entraves a manifestement entraîné des blessures dans le chef de Monsieur B..
Au vu de telles considérations et eu égard aux développements qui précèdent en ce qui concerne les personnes responsables de cette situation, la prévention E est établie dans le chef des prévenus E, G et I.
Elle ne l'est pas en ce- qui concerne C, F et H.

1.2.4. La sanction à prononcer du chef des préventions D et E (...)

Les faits dont ces prévenus sont déclarés coupables remontent à 2007. La majorité des devoirs d'enquête a été réalisée en 2008.
Il y a lieu de considérer que la durée des poursuites a dépassé le délai raisonnable et le tribunal prononcera donc à l'encontre de ces trois prévenus, une déclaration de culpabilité.
2. Au civil
2.1. Les demandes de E, C, F et D
Par son fait, F. B. a causé à ces parties civiles un préjudice dont il doit réparation.
Chacune de ces parties civiles réclame une somme d'un euro à titre de dommage moral.
Il convient de faire droit à ces demandes.
2.2. La demande de F. B. (...)
Monsieur B. réclame une somme de 1.000 euros par jour de détention, soit un montant total de 11.000 euros.
Il convient de faire droit à cette demande qui n'est pas contestée, ne fût-ce qu'à titre subsidiaire, quant à son montant.
En effet, le juge pénal, statuant sur l'action civile, ne peut élever une contestation qui ne touche pas à l'ordre public et qui est exclue par les conclusions des parties (Cass., 1er décembre 1987, Pas., 1988, p. 392).
Le montant de base de l'indemnité de procédure pour cette réclamation s'élève à 1.210 euros.

Dispositif conforme aux motifs.

Siég. :  Mme S. Sterck.
Greffier : Mme N. Bourgoing.
M.P. : Mme D. Henrickx.
Plaid. : MesM. Nève, Ch. Moreau, Th. Moreau, P. Larbière, M. Donatangelo,
O. Barthélemy, C. Toussant, D. Bosquet et N. Evrard.
N.B. : Ce jugement est frappé d'appel.

 



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Sommaire

  • Le détenu qui a menacé par gestes ou emblèmes et qui a injurié des agents pénitentiaires ne peut invoquer l'état de nécessité déduit du tradivent dégradant qu'il subit, les faits mis à sa charge n'apparaissant pas comme la seule solution de nature à éviter le péril auquel il aurait été soumis. La durée des poursuites ayant dépassé le délai raisonnable, il y a lieu de ne prononcer qu'une déclaration de culpabilité. Il convient de condamner ce détenu à payer aux agents pénitentiaires un euro à titre de dommage moral. - Le détenu placé dans une cellule nue, non chauffée, entravé, pieds et mains menottés, est victime d'un tradivent dégradant réprimé par l'article 417quinquies du Code pénal. - Lorsque ce détenu présente des lésions qui peuvent être en rapport avec la mise en place de menottes solidarisées par des chaînes, la prévention de coups et blessures est établie dans le chef des personnes responsables de cette situation. - La durée des poursuites ayant dépassé le délai raisonnable, il y a lieu de ne prononcer qu'une déclaration de culpabilité à l'égard des agents pénitentiaires dont la responsabilité a été établie. Il convient de condamner ces agents pénitentiaires à payer au détenu 1.000 euros par jour de détention, soit 11.000 euros, cette demande n'étant pas contestée quant à son montant, fût-ce à titre subsidiaire.

Mots-clés

  • Infractions diverses - Menaces par gestes et emblèmes - Prisons - Détenu - État de nécessité (non) - Infraction - Peine - Dépassement du délai raisonnable - Déclaration de culpabilité - Dommage moral
  • Prisons - Droits de l'homme - Tradivents inhumains et dégradants - Coups et blessures volontaires et meurtres - Infraction - Peine - Dépassement du délai raisonnable - Déclaration de culpabilité - Dommage moral

Date(s)

  • Date de publication : 28/03/2014
  • Date de prononcé : 13/01/2014

Référence

Tribunal correctionnel Nivelles (3 echambre), 13/01/2014, J.L.M.B., 2014/13, p. 609-613.

Branches du droit

  • Droit pénal > Droit pénal - Principes généraux > Causes de justification et d'excuse > État de nécessité
  • Droit pénal > Infractions et leurs peines > Crimes et délits contre les personnes > Homicide et lésions corporelles volontaires - Coups
  • Droit pénal > Procédure pénale - Titre préliminaire > Extinction > Délai raisonnable
  • Droit pénal > Exécution des peines > Statut juridique interne des personnes condamnées > Établissements pénitentiaires et statut juridique du détenu
  • Droit pénal > Exécution des peines > Statut juridique interne des personnes condamnées > Régime des détenus
  • Droit civil > Obligations hors contrat > Obligation (quasi) délictuelle > Dommage

Éditeur

Larcier

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