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28/03/2014
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L'honneur retrouvé du pouvoir judiciaire


Jurisprudence - Droit pénitentiaire

I. Infractions diverses - Menaces par gestes et emblèmes - Prisons - Détenu - État de nécessité (non) - Infraction - Peine - Dépassement du délai raisonnable - Déclaration de culpabilité - Dommage moral.
II. Prisons - Droits de l'homme - Traitements inhumains et dégradants - Coups et blessures volontaires et meurtres - Infraction - Peine - Dépassement du délai raisonnable - Déclaration de culpabilité - Dommage moral.

Le pouvoir judiciaire lui aussi a, tout comme le Conseil d'État, hésité à s'occuper de ce qui se passe derrière les barreaux, bien que, dès l'arrêt Golder du 21 décembre 1975, la Cour européenne avait solennellement proclamé que « les droits de l'homme ne s'arrêtent pas à la porte des prisons » et qu'elle le répéta dans l'arrêt Campbell et Fell c. Royaume Uni du 28 juin 1984. Les « désagréments » de la vie carcérale étaient des accessoires obligés de la peine et les améliorations que pouvaient obtenir les détenus étaient non des droits mais des faveurs [1].
Mais ce désintérêt des juges ou l'affirmation de leur incompétence [2] allaient être contredits par les grands pionniers du référé que sont ces magistrats qui ont rendu à la justice l'honneur que sa lenteur risquait de lui faire perdre [3]. D'autres juges ont réaffirmé qu'ils ne peuvent se désintéresser de l'état lamentable de nos prisons, se reconnaissant compétents pour rectifier un mandat d'arrêt qui ordonne l'incarcération d'un inculpé dans une prison surpeuplée où il subira un traitement inhumain et dégradant [4].
L'arrêt de la cour d'appel publié ci-avant, qui confirme pour l'essentiel l'ordonnance du 6 décembre 2012 publiée dans cette revue [5], témoigne du refus des juges de se laisser enfermer dans les arguments déduits de la séparation des pouvoirs, du pouvoir discrétionnaire de l'administration ou de la notion de mesure d'ordre intérieur. Tous ces obstacles mis à l'accès à un juge sont renversés par le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. C'est une nouvelle illustration de ce que le droit à un juge provient, non des seules règles du droit processuel, mais du droit substantiel qui produit lui-même les règles propres à assurer son respect. Si envahissant soit-il, l'article 6 de la Convention européenne n'est parvenu à convaincre ni la Cour européenne, ni la Cour de cassation [6] de l'étendre à la protection des condamnés [7]. C'est l'article 3 qui a forcé les juges à élargir les règles de leur compétence.
Il n'est pas sûr, cependant, que ces recours puissent être considérés comme « effectifs » au sens de l'article 13 de la Convention européenne car « la question décisive est de savoir si la personne intéressée peut obtenir des juridictions internes un redressement direct et approprié et pas seulement une protection indirecte des droits garantis par l'article 3 de la Convention européenne. Ainsi, un recours exclusivement en réparation ne saurait être considéré comme suffisant, s'agissant des allégations de conditions d'internement ou de détention prétendument contraires à l'article 3, dans la mesure où il n'a pas un effet "préventif", en ce sens qu'il n'est pas à même d'empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre aux détenus d'obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention ». Et même lorsque des recours existent, « les remèdes "préventifs" et ceux de nature "compensatoire" doivent coexister de manière complémentaire », car « le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la violation du droit à ne pas subir de traitement inhumain et dégradant » [8]. La difficulté d'accès à des recours qui restent entourés d'incertitude quant aux conditions de compétence et de recevabilité et le long combat que doivent mener les condamnés pour les exercer sans avoir la certitude qu'ils seront entendus par des juges aussi courageux que ceux qui ont rendu l'arrêt annoté, sont-ils compatibles avec le caractère « effectif » exigé par la Cour européenne ? [9]
Quant au jugement du tribunal correctionnel de Nivelles du 13 janvier 2014, il confirme que le traitement des détenus n'échappe pas aux règles du droit pénal et de la responsabilité civile mais il a la particularité de mettre en cause des responsabilités individuelles. On se souviendra de ce que, dans une affaire où la Belgique allait finalement être condamnée à Strasbourg pour n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour empêcher le suicide d'un détenu, la procédure pénale intentée par la famille de celui-ci s'était terminée par un arrêt de la chambre des mises en accusation de Gand qui avait condamné les plaignants au paiement de 1.000 euros pour abus du droit d'appel, jugeant qu'ils avaient indûment utilisé ce recours pour mettre en cause la politique pénitentiaire, obligeant les inculpés à subir une procédure difficile sur le plan moral et matériel [10]. On s'abstiendra de commenter le jugement du tribunal correctionnel de Nivelles qui est frappé d'appel.
On ne peut donc que souhaiter la mise en vigueur des dispositions organisant un système de plainte et de recours de la loi de principes du 12 janvier 2005 [11].
Comment expliquer l'incapacité des autorités à concrétiser les avancées suggérées par la commission Dupont et à remédier à la misère de notre droit pénitentiaire, dénoncée à répétition par la doctrine, et qui a incité jusqu'aux sages de la Cour des comptes, réputés plus attentifs aux chiffres qu'aux idées, à rédiger un rapport de 166 pages qui reprend l'essentiel des griefs adressés à notre système pénitentiaire [12] [13] ?
La première explication est d'ordre philosophique. De Beccaria à Foucault, le mouvement des idées allait vers plus d'humanité et moins de mortification dans le traitement des prisonniers. Le condamné était perçu, théoriquement en tout cas, comme un être en rupture avec la société qui pouvait se sentir coupable de le maltraiter car on lui rappelait, selon une phrase que l'on prête tantôt à Dostoïevski, tantôt à Camus, que le degré de civilisation d'une société se mesure à la manière dont elle traite ses prisonniers. Ces discours étaient inoffensifs puisque le droit ne donnait pas aux juges les instruments juridiques aptes à faire reculer la barbarie qu'ils dénonçaient. Aujourd'hui, on a donné au droit les normes adéquates, mais c'est l'imaginaire humaniste qui s'est appauvri : dans l'inconscient collectif, l'image de Marc Dutroux s'est substituée à celle de Jean Valjean.
La deuxième explication est d'ordre symbolique. Le « fonds anthropologique » de l'expiation resurgit [14]. Le droit pénal suscite « des émotions viscérales et un sentiment de sacré ». La peine prolonge « une sphère résiduelle de valeurs sacrées et tire de ce fait sa force et sa signification »  [15]. La volonté des victimes - qu'on avait peut-être oubliées dans la procédure - d'être entendues sur la peine et sur les modalités de son exécution donne au procès une vertu thérapeutique et à la peine une dimension émotionnelle [16]. Il appartiendra aux psychologues de nous dire si ce passage « de l'état malheureux à l'état glorieux, vindicatif et exigeant »  [17] est de nature, pour utiliser une expression dont les médias raffolent, à favoriser le travail du deuil ou si, au contraire, en figeant la partie civile dans son statut de victime, on ne l'entretient pas dans son « trauma initial »  [18].
Peut-être y-a-t-il une troisième explication et elle serait d'ordre syndical. Il y a un autre intervenant dont on ne s'était pas soucié et qui le fait savoir, c'est le gardien de prison. Comme le taux de syndicalisation est très élevé en Belgique, la grève ou sa menace non seulement peut peser dans les décisions politiques mais elle pourrait expliquer l'existence, illustrée par les décisions commentées, de « punitions informelles » et l'impossibilité de les dénoncer [19].
Est-ce que l'ensemble de ces explications doit nous inciter à la résignation et nous forcer à admettre que la surpopulation des prisons, et les mauvais traitements qu'elle induit, est une plaie dont on ne verra jamais la cicatrice, qu'on ne sortira jamais du cercle vicieux selon lequel la surpopulation ne permet pas l'indispensable « classification », cette absence de classification cohérente ayant elle-même des effets accélérateurs de cette surpopulation [20] ? A-t-on cessé de croire que le souci premier est, non pas de « faire croître l'utilité possible » de ceux qui sont enfermés et qu'il s'agit plutôt de « fixer des populations inutiles ou agitées », la nouvelle pénologie étant axée, non sur l'individu, sa punition et son traitement, mais sur la gestion des groupes à risque ?  [21]
Les statistiques semblent indiquer que les alternatives à l'enfermement s'ajoutent aux peines de prison et n'ont pas pour effet de les diminuer. Les lois récentes n'ont pas eu pour effet d'accroître le nombre de libertés provisoires ni d'accélérer les libérations conditionnelles. Pire encore : faut-il croire, comme le déclare un ancien directeur de prison, que notre système a besoin de la surpopulation parce qu'elle lui permet « de fonctionner en fonction de sa logique propre première, répressive, sans se laisser bousculer par les logiques douces, humanistes, socialisantes »  [22].
On se consolera - modérément - en lisant les décisions qui suivent, par lesquelles des juges s'efforcent d'introduire un peu de cette logique humaniste dans leurs pratiques.

 


[1] Ph. Mary, R.P.D.B., compl. tome XI, v° Prison, n° 503.
[2] Civ. Liège (réf.), 12 février 1996, cette revue, 1996, p. 722 et nos observations.
[3] Voy. l'ordonnance du président Trousse, Civ. Liège (réf.), 9 novembre 1987, cette revue, 1987, p. 1496, et celle du président Wettinck, Civ. Liège (réf.), 23 décembre 1988, cette revue, 1989, p. 109, rendues toutes deux à propos du quartier de haute sécurité « bloc U » de la prison de Lantin.
[4] Bruxelles (mis. acc.), 17 avril 2012, cette revue, 2012, p. 1052, et note M. Nève.
[5] Cette revue, 2013, p. 455.
[6] Cass., 25 juin 2013, R.G. n° 13.0535.N.
[7] Cour eur. D.H., Payet c. France, 20 janvier 2011, cette revue, 2012, p. 1024 et, sur les nuances de cette jurisprudence, note L. Misson et G. Dujardin ; Cour eur. D.H., Boulois c. Luxembourg, 3 avril 2012, voy. toutefois les opinions dissidentes des juges Tulkens et Yudkivska.
[8] Cour eur. D.H., Torreggiani et autres c. Italie, 8 janvier 2013, paragraphes 50 et 96.
[9] Voy. Marc Nève, « Sens et non sens de la prison : un état des lieux du droit pénitentiaire en Belgique » in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 26 mars 2013.
[10] Cour eur. D.H., De Donder et De Clippel c. Belgique, 6 décembre 2011, cette revue, 2012, paragraphe 43, et obs. de L. Misson et G. Dujardin.
[11] M.-A. Beernaerdt, Manuel de droit pénitentiaire, Anthemis, 2012, pp. 379 à 387.
[12] Cour des comptes, « Mesures de lutte contre la surpopulation carcérale », assemblée générale du 21 décembre 2011.
[13] Pour la France, voy. le rapport de quatre étudiants de l'ENA, de 52 pages : « L'administration pénitentiaire et les droits des détenus », février 2011.
[14] A. Garapon et D. Salas, Les nouvelles sorcières de Salem, Seuil, 2006, p. 21.
[15] D. Garand, cité par M. Osiel, Juger les crimes de masse, Seuil, 2006, p. 53.
[16] K. Lauwaert, « La victime dans le procès pénal. Perspectives victimologiques et juridiques », in Le droit des victimes, A. Jacobs et K. Lauwaert (sous la direction de), Formation permanente CUP, 2010, vol. 117, p. 60.
[17] Ch. Mormont, « La victime et l'expertise », in Le droit des victimes, op. cit., p. 232.
[18] Ibidem.
[19] B. Champetier et Gaëtan Cliquennois, « L'influence politique et punitive des syndicats pénitentiaires en Belgique et en France », Ann. dr. Louvain, 2013, p. 245.
[20] M.-S. Devresse, L. Robert et Ch. Vanneste, « Classification et régimes dans les prisons belges », Rev. dr. pén., 2014, pp. 169 à 196.
[21] Ph. Mary, « La politique pénitentiaire » Cahiers du CRISP, 2012, p. 2137, citant notamment M. Foucault, R. Castel et I. Goffman.
[22] M. Nève, op. cit., p. 7.


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Date(s)

  • Date de publication : 28/03/2014

Auteur(s)

  • Martens, P.

Référence

Martens, P., « L'honneur retrouvé du pouvoir judiciaire », J.L.M.B., 2014/13, p. 613-616.

Branches du droit

  • Droit pénal > Infractions et leurs peines > Crimes et délits contre les personnes > Homicide et lésions corporelles volontaires - Coups
  • Droit international > Droits de l'homme > Droits de l'homme - CEDH > Torture, tradivents inhumains et dégradants
  • Droit pénal > Exécution des peines > Statut juridique interne des personnes condamnées > Établissements pénitentiaires et statut juridique du détenu
  • Droit pénal > Exécution des peines > Statut juridique interne des personnes condamnées > Régime des détenus

Éditeur

Larcier

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