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18/01/2012
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Tribunal correctionnel Liège (8e chambre), 18/01/2012


Jurisprudence - Droit pénal et procédure pénale

J.L.M.B. 12/524
Organisation judiciaire - Tribunal correctionnel - Composition - Crime correctionnalisé - Siège exclusivement féminin - Egalité - Pas de discrimination - Question préjudicielle à la Cour constitutionnelle (non) .
Le tribunal dont la décision est susceptible d'appel n'est pas tenu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle si la loi dont l'inconstitutionnalité est avancée ne viole manifestement pas une disposition constitutionnelle. Pareil tribunal n'est donc nullement tenu de demander à la Cour constitutionnelle si l'article 92 du Code judiciaire viole le principe d'égalité en ce qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un prévenu poursuivi pour faits de moeurs soit jugé par une chambre correctionnelle composée de trois femmes, alors que si le crime n'avait pas été correctionnalisé, il aurait comparu devant un jury de cour d'assises qui doit être composé d'un maximum de deux tiers de personnes de même sexe.

(M.P. / S. et G. )


(...)
II. Examen de la demande formulée in limine litis par le prévenu
2.1. La demande
À l'audience du 21 décembre 2011, le prévenu a soulevé in limine litis un incident de procédure concernant la composition du siège du tribunal et sollicité que celui-ci pose une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Le prévenu a rappelé qu'étant poursuivi pour le crime de viol (visé aux articles 375, 377 et 378 du Code pénal), le juge naturellement compétent pour connaître de sa cause est la cour d'assises.
Or, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2009 réformant la cour d'assises, l'article 289 du Code d'instruction criminelle a été modifié et prévoit que le jury de la cour d'assises doit - au moment de sa composition - être constitué d'un maximum de deux tiers des membres du même sexe.
Suite à la citation du parquet visant des circonstances atténuantes aux fins de correctionnalisation, le prévenu se voit assigné devant une chambre du tribunal correctionnel composée, en vertu de l'article 92 du Code judiciaire, de trois juges professionnels. En l'espèce, les trois juges sont de sexe féminin.
Le prévenu estime, dès lors, discriminatoire de ne pas pouvoir bénéficier devant le tribunal correctionnel d'un siège composé d'au moins un homme, par comparaison à l'examen du dossier qui aurait été fait devant la cour d'assises constituée d'un jury composé d'au moins un tiers d'hommes.
En conséquence, le prévenu demande au tribunal de poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« L'article 92, paragraphe 1er, du Code judiciaire, en tant qu'il prévoit que les infractions aux articles 375, 377 et 378 du Code pénal sont, en cas de correctionnalisation, dévolues à la connaissance obligatoire d'une chambre correctionnelle composée de trois juges, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme en ne prévoyant pas qu'au maximum deux des trois magistrats sont du même sexe, alors que l'article 289, paragraphe 3, du Code d'instruction criminelle introduit par la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d'assises impose, pour le jugement de ces crimes, la constitution d'un jury dont au maximum deux tiers des membres sont du même sexe ? ».

2.2. L'analyse du tribunal

2.2.1. Principes

En vertu de l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la juridiction de fond devant laquelle est soulevée une question préjudicielle est contrainte de poser cette question à la Cour constitutionnelle.
Toutefois, la juridiction dont la décision est susceptible d'appel n'est pas tenue de poser la question au juge constitutionnel si la loi dont l'inconstitutionnalité est avancée « ne viole manifestement pas une règle ou un article de la Constitution visés au paragraphe 1er (...) » (article 26, paragraphe 2, de la loi spéciale précitée).
En l'absence d'un doute raisonnable quant à la constitutionnalité de la loi, le juge du fond est donc dispensé de saisir la Cour constitutionnelle (théorie de l'acte clair) et exerce, dans ce contexte, un contrôle concrétisé par l'exigence d'indiquer dans son jugement les motifs du refus de poser la question préjudicielle (article 29, paragraphe 2, de la loi spéciale précitée).

2.2.2. En l'espèce

1. En l'espèce, il est manifeste que l'article 92 du Code judiciaire ne viole ni les articles 10 et 11 de la Constitution ni l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, combinés avec l'article 289, paragraphe 3, du Code d'instruction criminelle.
L'article 92, paragraphe 1er, du Code judiciaire reprend une liste de types d'affaires qui doivent être attribuées aux chambres composées de trois juges et parmi cette liste figurent « les affaires en matière répressive relatives aux infractions visées au titre VII et au titre VIII, chapitre III, du livre II du Code pénal (à l'exception des infractions visées aux articles 391bis, 391ter, 431 et 432 du Code pénal) » (4°). L'article 92, paragraphe 1er, 4°, ne contient, par contre, pas de norme relative à la composition concrète de ces chambres. Il ne peut, dès lors, être à l'origine de la différence de traitement dénoncée par le prévenu.
Si cette différence de traitement existe, elle ne pourrait trouver son origine que dans une éventuelle lacune législative au sens où le législateur n'aurait pas prévu de disposition légale comparable à l'article 289, paragraphe 3, du Code d'instruction criminelle en matière de crimes dont la correctionnalisation est proposée.
La question, telle qu'elle est rédigée par le prévenu, en ce qu'elle sollicite l'examen de la constitutionnalité de l'article 92, paragraphe 1er, 4°, du code judiciaire, n'est donc pas pertinente.
2.a. Certes, il est loisible au tribunal de reformuler une proposition de question préjudicielle pour interroger la Cour constitutionnelle sur une éventuelle inconstitutionnalité décelée dans la législation applicable au litige, soit, dans la loi du 21 décembre 2009 réformant la cour d'assises en ce qu'elle n'a pas également prévu de parité sexuelle au sein des chambres professionnelles collégiales du tribunal correctionnel.
Tel n'est, cependant, pas le cas en l'espèce, la législation belge apparaissant manifestement ne pas violer de règles ou d'articles de la Constitution.
b. L'exigence d'une parité sexuelle au sein des cours et tribunaux ou de certains de ceux-ci ne ressort ni de la Constitution ni d'une norme supranationale directement applicable ni d'un principe général de droit.
L'insertion de cette parité au sein des seuls jurys d'assises ne relève que d'un choix du législateur, qui ne s'est pas imposé à lui par des normes supranationales, le tribunal constatant que ce choix avait d'ailleurs fait l'objet de critiques préalables émanant notamment de la Commission de réforme de la cour d'assises elle-même qui avait manifesté son opposition claire à cette forme de parité (B. Frydman et R. Verstraeten, Rapport définitif de la Commission de réforme de la cour d'assises remis à la ministre de la Justice le 23 décembre 2005, p. 49) :

« L'examen de la pratique confirme qu'il n'y a actuellement pas de problème réel de diversité et de représentation des genres dans les jurys. Bien évidemment, l'accès égal des hommes et des femmes et le hasard du tirage au sort ne garantissent pas que chaque jury soit composé exactement d'un nombre égal d'hommes et de femmes. La commission n'aperçoit pas de raison pour qu'il en soit ainsi.

En tout état de cause, on ne conçoit pas que l'exigence de parité apparaisse comme la garantie d'une bonne justice, ce qui tendrait à induire que les hommes et les femmes jugeraient différemment et qu'il conviendrait de préserver un équilibre entre les deux. Est-il besoin de préciser qu'une telle exigence d'équilibre des genres n'existe dans aucune autre juridiction belge, qu'il s'agisse de juridictions professionnelles ou de juridictions associant des juges dits laïcs comme, par exemple, le tribunal du commerce, les juridictions sociales ou les futurs tribunaux d'application des peines ?

L'exigence d'une parité des genres dans chaque jury ne pourrait, dès lors, s'interpréter que comme la volonté de représenter la communauté nationale sous les traits non pas d'un ensemble de citoyens, mais d'un sous-ensemble d'hommes-citoyens associé à un sous-ensemble de femmes-citoyennes. Une telle idéologie, qui essentialise la différence des genres, comme un clivage qui traverse et structure la société politique, est étrangère à notre culture politique.

La commission n'aperçoit pas pourquoi ce critère de différenciation devrait être introduit dans la loi à la différence de tous les autres, alors que, par ailleurs, la participation égale des hommes et des femmes dans les jurys ne suscite pas de difficulté ».

c. Il n'y a, en l'espèce, manifestement pas d'inconstitutonnalité législative dès lors que la proposition de question préjudicielle dénonce une différence de traitement entre des personnes soumises à des situations qui ne sont objectivement pas comparables, soit, d'une part, celles confrontées aux règles de composition d'une chambre à trois juges d'un tribunal de première instance - dont les magistrats sont des professionnels - et, d'autre part, celles confrontées aux règles de composition d'un jury populaire - dont les membres sont des citoyens ordinaires dépourvus de formation juridique spécialisée -.
Cette différence de traitement, selon qu'une personne est jugée pour des faits qualifiés crime devant une cour d'assises ou devant un tribunal correctionnel, résulte d'une manière générale des importantes différences de procédure et de mode de fonctionnement existant entre le système organisé pour la juridiction d'assises (dans lequel sont notamment prévus l'oralité des débats et la présence de jurés non professionnels du droit sélectionnés par tirage au sort) et le système organisé pour les autres juridictions correctionnelles ainsi que de la possibilité de correctionnalisation de crimes en raison de circonstances atténuantes.
Cette possible correctionnalisation - qui ne fait l'objet d'aucune critique en l'espèce - a pour conséquence qu'une personne poursuivie pour un crime puisse être jugée non par une cour d'assises mais par un tribunal correctionnel dont le fonctionnement et la composition ne sont objectivement pas comparables.
d. En outre, le législateur n'a pas voulu faire de la parité sexuelle au sein des jurys d'assises une règle absolue puisque cette parité n'a été organisée qu'au stade de la composition initiale du jury.
La proportion d'un tiers de personnes de chaque sexe parmi les jurés n'est donc pas nécessairement effective à un stade ultérieur de la procédure puisqu'aucune règle de proportion entre les hommes et les femmes n'a été imposée au niveau du tirage au sort des jurés suppléants. La proportion pourrait donc ne pas être respectée dans les faits lorsqu'un juré suppléant est amené à remplacer, conformément à l'article 125 du Code judiciaire, un juré empêché de suivre les débats en cours de procédure.
e. Par l'article 289, paragraphe 3, nouveau du Code d'instruction criminelle, le législateur a créé une règle quant à la représentation des hommes et des femmes au sein des jurys des cours d'assises (au moment de leur composition), cette règle étant valable quel que soit le crime pour lequel l'accusé est poursuivi, qu'il soit ou non de nature sexuelle.
L'insertion d'une règle de parité sexuelle au sein des jurys d'assises est le résultat d'un choix législatif spécifique lié à l'institution même du jury populaire composé de citoyens ordinaires, aux fins de créer une forme de représentativité plus importante de la population belge au sein de ce jury (voy. B. Frydman et R. Verstraeten, rapport précité, pp. 47 à 49). Cette règle n'a pas été conçue pour avoir égard à des approches différentes selon le sexe des juges au regard des crimes à caractère sexuel.
Or, le prévenu paraît bien viser spécifiquement ces crimes à caractère sexuel ainsi que la seule présence de femmes composant le siège du tribunal puisqu'il souligne en termes de conclusions qu'il est « de sexe masculin (comme la presque totalité des prévenus en matière de moeurs) » et qu'il « est amené à voir son comportement et sa personnalité jugés par un siège présentement composé exclusivement de magistrats de sexe féminin ».
Le prévenu précise clairement que « ce ne sont pas les qualités personnelles des magistrates concernées, ut singuli, qui sont en cause, mais bien la conception que, en tant que femmes et non en tant qu'hommes, elles ont des rapports humains, spécialement sur le plan psycho-affectivo-sexuel. Pareille conception n'est assurément pas la même entre humains de sexe masculin et de sexe féminin ».
Ce postulat est en soi discriminatoire en ce qu'il suppose que les magistrats professionnels auraient des conceptions, des réactions et des jugements différents selon qu'ils soient hommes ou femmes, ce qui ne repose sur aucun élément objectif sérieux.
La question préjudicielle proposée par l'inculpé résulte donc d'une vision de la société empreinte de préjugés qui est, en elle-même, discriminatoire et le tribunal n'est, dès lors, pas fondé à poser à ce titre une question préjudicielle sérieuse à la Cour constitutionnelle.
III. La décision du tribunal (...)
Dit n'y avoir lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle (...)
Siég. :  Mmes M. Wilmart, M.-P. Drisket et G. Foxhal.
Greffier : M. J.-M. Warnotte.
M.P. : M. R. Malagnini.
Plaid. : MesA. Masset et X. Montiel Corte.

 



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Sommaire

  • Le tribunal dont la décision est susceptible d'appel n'est pas tenu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle si la loi dont l'inconstitutionnalité est avancée ne viole manifestement pas une disposition constitutionnelle. Pareil tribunal n'est donc nullement tenu de demander à la Cour constitutionnelle si l'article 92 du Code judiciaire viole le principe d'égalité en ce qu'il ne fait pas obstacle à ce qu'un prévenu poursuivi pour faits de mœurs soit jugé par une chambre correctionnelle composée de trois femmes, alors que si le crime n'avait pas été correctionnalisé, il aurait comparu devant un jury de cour d'assises qui doit être composé d'un maximum de deux tiers de personnes de même sexe.

Mots-clés

  • Organisation judiciaire - Tribunal correctionnel - Composition - Crime correctionnalisé - Siège exclusivement féminin - Egalité - Pas de discrimination - Question préjudicielle à la Cour constitutionnelle (non)

Date(s)

  • Date de publication : 10/01/2014
  • Date de prononcé : 18/01/2012

Référence

Tribunal correctionnel Liège (8 echambre), 18/01/2012, J.L.M.B., 2014/2, p. 95-99.

Branches du droit

  • Droit judiciaire > Organisation judiciaire > Organisation et service tribunaux > Service
  • Droit public et administratif > Droit constitutionnel > Droits et libertés - art. 8-32 > Égalité - art. 10-11bis
  • Droit public et administratif > Cour constitutionnelle > Compétence préjudicielle

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