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12/02/2016
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Les conditions de la mise sous séquestre de parts ou actions de sociétés


Jurisprudence - Droit des sociétés

I. Référé - Requête unilatérale - Procédure sur requête unilatérale - Absolue nécessité - Extrême urgence.
II. Sociétés - Sociétés anonymes - Séquestre sur actions - Conditions.

1. Le séquestre judiciaire trouve son fondement dans l'article 1961, 2°, du Code civil, qui dispose que « La justice peut ordonner le séquestre d'un immeuble ou d'une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes ».
Les juges des référés ont fréquemment appliqué cette mesure aux titres de sociétés.
2. La désignation d'un séquestre suppose une contestation sérieuse entre les parties [1], mais non une procédure pendante devant une juridiction. Il n'est cependant pas rare que les juges des référés précisent dans leurs ordonnances que la mesure cessera ses effets si une action au fond n'est pas introduite dans un certain délai [2].
Cette contestation doit reposer sur des prétentions contradictoires relativement à la chose, sans que ces prétentions doivent porter sur sa propriété ou sa possession [3]. Appliquée aux titres de société, la mise sous séquestre peut tout d'abord être ordonnée lorsque les parties articulent, comme dans l'arrêt annoté, des prétentions contradictoires sur la propriété ou la possession des titres ; ces prétentions peuvent notamment résulter de la contestation d'une cession d'actions, d'une donation ou de la liquidation-partage d'une succession ou d'une communauté [4]. Inspirée par un ancien arrêt de la cour d'appel de Liège [5], la doctrine admet en outre généralement la possibilité de désigner un séquestre dans le cas où les copropriétaires de titres ne parviennent pas à s'entendre sur l'exercice commun du droit de vote ou sur la désignation d'un mandataire chargé de voter en leur nom, lorsque cette problématique n'est pas réglée dans les statuts ou une convention [6]. La mise sous séquestre des titres serait alors spécialement ordonnée en vue d'octroyer au séquestre le droit de vote attaché aux titres [7]. La doctrine suggère d'ailleurs que le séquestre soit nommé jusqu'à la liquidation de l'indivision [8].
3. La désignation de séquestre porte sur la chose qui fait l'objet des prétentions contradictoires entre les parties. Il peut s'agir de biens meubles ou immeubles, corporels (actions au porteur) ou incorporels (actions nominatives et parts sociales). La demande de séquestre doit, en outre, porter sur une chose individualisée [9], à savoir le corps certain sur lequel les parties articulent des prétentions contradictoires. Cette condition rend, a priori, délicate la mise sous séquestre d'actions dématérialisées. Celles-ci sont en effet fongibles, de sorte que le titulaire d'un compte d'actions dématérialisées n'est pas propriétaire d'une ou plusieurs actions déterminées mais uniquement titulaire d'un droit réel de copropriété, de nature incorporelle, sur l'universalité des actions de même catégorie inscrites au nom de l'organisme de liquidation ou du teneur de comptes agréé dans le registre des titres nominatifs de la société (article 468, alinéa 5, du Code des sociétés). Confrontée à ce problème de fongibilité pour les sommes d'argent, la meilleure doctrine considère toutefois qu'il est possible de mettre sous séquestre un compte en banque, plus précisément la créance de restitution du titulaire du compte contre le banquier, qui serait parfaitement individualisée [10]. On pourrait en conclure que s'il n'est pas possible de désigner un séquestre pour les actions dématérialisées elles-mêmes, on peut par contre mettre sous séquestre le compte sur lequel de telles actions sont inscrites, le droit de copropriété de l'actionnaire étant tout aussi individualisable que la créance de restitution du titulaire d'un compte en banque.
Le séquestre ne peut avoir pour objet qu'un ou plusieurs éléments déterminés d'un patrimoine : on ne peut donc mettre sous séquestre un patrimoine en tant que tel (universalité de droit), ni l'ensemble des biens d'une personne physique ou morale (universalité de fait) [11]. Lorsqu'il s'agit de dessaisir les organes d'une société de la gestion de l'entreprise qu'elle exploite et de la confier à un tiers, c'est à la figure de l'administrateur provisoire et non à celle du séquestre judiciaire que le juge des référés a recours. Quand le litige entre parties est relatif à la majorité des titres de la société, doctrine et jurisprudence sont dès lors d'avis qu'il est plus adéquat de désigner un administrateur provisoire qu'un séquestre [12].
3. La désignation d'un séquestre ayant pour mission d'assurer la conservation de la chose litigieuse suppose que celle-ci soit en péril. Le demandeur doit donc établir qu'il existe une menace sérieuse que la chose soit aliénée, altérée, perdue ou affectée d'une moins-value [13].
En cas de litige relatif à la propriété ou la possession d'actions, le demandeur ne peut se limiter à invoquer l'éventuel changement de majorité qui résultera de son action au fond pour paralyser l'exercice par le défendeur des droits attachés aux titres litigieux [14] ; selon la meilleure doctrine, il doit prouver qu'il existe un risque sérieux que pendant le litige :
  • les titres soient aliénés ou détruits (4.) ;
  • des décisions sociales irréversibles soient adoptées (5.) ;
  • les titres soient mal gérés ou que la société elle-même soit mal gérée, notamment par une cession d'actifs importants (6.) [15].
Le demandeur devra établir des motifs sérieux de craindre la réalisation du péril invoqué. La demande de séquestration de titres doit donc être rejetée lorsqu'il n'existe aucun risque qu'ils soient aliénés [16] et que les titres et la société ont bien été gérés par le défendeur jusque-là [17].
4. Le cas le plus fréquemment rencontré dans la jurisprudence publiée [18] est, comme dans l'arrêt annoté, le risque de destruction ou d'aliénation des titres. Le demandeur qui revendique la propriété des actions peut en effet craindre que le défendeur détruise ou aliène ses titres, rendant vaine sa revendication.
La problématique de la destruction des titres ne concerne que les actions au porteur et est donc devenue sans objet depuis la disparition des titres au porteur le 31 décembre 2014 (article 9 de la loi du 14 décembre 2005 portant suppression des titres au porteur).
Le demandeur qui revendique la propriété des actions peut également craindre que le défendeur en organise la disparition en les cédant à des tiers (de bonne foi).
La mise sous séquestre (du registre) des titres nominatifs ne nous semble pas la mesure la plus adéquate lorsqu'il s'agit d'en empêcher la cession. L'interdiction de céder les titres combinée à la défense faite à la société d'inscrire une cession dans le registre [19] est aussi efficace mais moins coûteuse, et donc plus respectueuse des intérêts en présence ; conformément au principe de proportionnalité, qui domine l'intervention judiciaire en droit des sociétés [20], la mise sous séquestre devrait donc être refusée dans un tel cas.
La désignation d'un séquestre était par contre indiquée lorsque le risque d'aliénation concernait des titres au porteur, cessibles par simple tradition (ancien article 504, alinéa 2, du Code des sociétés). L'interdiction de céder les titres était ici insuffisante : la tradition pouvait être antidatée ; par ailleurs, l'acquéreur de bonne foi des titres pouvait se prévaloir de la protection des articles 2279 et 2280 du Code civil, nonobstant l'interdiction judiciaire de céder les titres.
Le risque d'aliénation de titres dématérialisés ne justifie pas, selon nous, la désignation d'un séquestre. D'une part, leur cession ne peut être antidatée, puisqu'elle intervient par un virement de compte à compte (article 468, alinéa 2, du Code des sociétés). D'autre part, si la loi du 14 décembre 2005 a certes étendu le jeu des articles 2279 et 2280 du Code civil aux titres dématérialisés (article 475bis du Code des sociétés), l'interdiction judiciaire de céder peut se révéler ici aussi plus adéquate que la mise sous séquestre si elle est combinée à la défense faite au teneur de comptes d'exécuter tout ordre de virement depuis le compte du défendeur. La portée du virement est certes discutée : si une certaine doctrine considère que la cession ne peut s'opérer que par virement [21], la doctrine majoritaire est, au contraire, d'avis que le transfert de propriété opère solo consensu une fois les parties convenues de la chose et du prix [22] ; dans ce dernier cas, le virement resterait toutefois une formalité d'opposabilité aux tiers [23], de sorte que la défense faite au teneur de comptes d'effectuer tout virement suffit à protéger les intérêts du demandeur.
L'arrêt annoté ne précise pas la nature de titres mis sous séquestre : s'il ne s'agissait pas d'actions au porteur qui n'avaient pas encore fait l'objet d'une conversion volontaire au moment de la mise sous séquestre, d'autres mesures, plus proportionnées, auraient dû lui être préférées.
5. Le risque que des décisions sociales irréversibles soient adoptées par le défendeur pendant le litige peut, dans certains cas, recevoir une solution plus adéquate que la mise sous séquestre des titres : en vertu du principe de proportionnalité, on pourrait ainsi préférer au séquestre l'interdiction faite à la société d'adopter certaines décisions [24] ou, plus radicalement, la suspension du droit de vote attaché aux titres [25], mesures aussi efficaces que la mise sous séquestre mais plus respectueuses du fonctionnement autonome de la société et, plus généralement, de tous les intérêts en présence. Si ces dernières mesures présentent l'avantage de ne pas conférer de prérogatives sociales à un mandataire judiciaire extérieur à la société, il faut cependant prendre garde que la suspension du droit de vote livre la société à des intérêts minoritaires, le cas échéant liés aux parties au litige, ou que l'interdiction de procéder à certaines opérations empêche la société d'adopter les décisions urgentes que l'intérêt social commande.
6. La dernière catégorie de menaces est relative à la mauvaise gestion des titres ou de la société elle-même, ces circonstances étant susceptibles de causer une moins-value des titres.
Pour rappel, la loi du 6 mars 1973 a renversé l'équilibre originaire des pouvoirs au sein des S.A. et des S.P.R.L. [26] : depuis lors, l'assemblée générale n'y a plus que des pouvoirs attribués ; c'est l'organe de gestion (conseil d'administration, gérant(s), collège de gérance) qui exerce les compétences résiduaires [27], en plus de celles qui lui sont expressément réservées par le code.
La gestion des sociétés à responsabilité limitée échappe donc, en principe, aux associés ; tout au plus peuvent-ils l'influencer indirectement par la nomination et la révocation des membres de l'organe de gestion [28].
Cette répartition des pouvoirs relativise fortement l'intérêt d'une mesure de séquestre fondée sur la crainte d'une mauvaise gestion de la société ou des titres.
Si les craintes du demandeur sont relatives aux actes de l'organe de gestion, véritable détenteur du pouvoir, la mesure appropriée n'est pas la mise sous séquestre des titres querellés, mais bien la mise sous administration provisoire de la société (2.). Si le demandeur craint plus particulièrement la cession d'actifs importants, on doit également préférer au séquestre des mesures plus adéquates, comme la défense faite à la société de céder ses actifs (5.) ou encore la nomination d'un administrateur provisoire, également qualifié d'expert-gardien, dont la mission est limitée au contrôle et à l'autorisation des cessions d'actifs importants [29].
La mise sous séquestre pourrait certes permettre d'influencer (indirectement) la gestion si elle porte sur la majorité des actions : dans un tel cas, l'attribution du droit de vote au séquestre lui permettrait de décider de la composition de l'organe de gestion. Toutefois, quand le litige entre parties est relatif à la majorité des titres de la société, doctrine et jurisprudence sont d'avis qu'il est plus adéquat de désigner un administrateur provisoire qu'un séquestre (2.). On pourrait également songer, dans ce cas, à la suspension du droit de vote attaché aux titres, plus respectueuse du fonctionnement autonome de la société, mais cette mesure risque également de conférer une majorité artificielle à des intérêts minoritaires, le cas échéant liés aux parties qui se disputent la majorité des titres.
La mise sous séquestre de titres ne constitue donc pas la mesure idoine lorsque le péril invoqué par le demandeur porte sur la gestion de la société ou la gestion de la majorité des titres d'une société. Le risque de mauvaise gestion des titres querellés ne permet leur mise sous séquestre que si le pouvoir votal y attaché ne confère pas le contrôle au sein de la société. Le juge devra toutefois examiner si la suspension du droit de vote attaché aux titres ne permet pas à elle seule de rencontrer efficacement ce risque.

 


[1] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, tome V, Bruxelles, Bruylant, 1941, n° 283, p. 265.
[2] P. Van Ommeslaghe, « Le séquestre judiciaire en droit commercial », R.D.C., 1999, n° 6, p. 234.
[3] B. Tilleman, « Sekwester », in Knelpunten Dienstencontracten, Intersentia, Anvers, 2006, n° 52, pp. 119-122.
[4] B. Tilleman, op. cit., n° 112, pp. 160-161.
[5] Liège, 14 juin 2005, R.P.S., 1907, p. 80.
[6] B. Tilleman, op. cit., n° 115, p. 161.
[7] P. Van Ommeslaghe, op. cit., n° 16, p. 242.
[8] B. Tilleman, op. cit., n° 115, p. 162.
[9] B. Tilleman, op. cit., n° 72, pp. 137-138 ; P. Van Ommeslaghe, op. cit., n° 7, p. 234.
[10] B. Tilleman, op. cit., n° 72, pp. 137-138 ; P. Van Ommeslaghe, op. cit., n° 18, pp. 244-245.
[11] B. Tilleman, op. cit., n° 72, pp. 137-138 ; P. Van Ommeslaghe, op. cit., n° 7, p. 234.
[12] B. Tilleman, « Sekwester », op. cit., n° 125, p. 170.
[13] B. Tilleman, op. cit., nos 62-63, pp. 130-131 ; P. Van Ommeslaghe, op. cit., n° 4, p. 231.
[14] Bruxelles, 24 juin 1959, R.P.S., p. 103, note P. Demeur.
[15] B. Tilleman, op. cit., n° 13, pp. 160-161.
[16] Comm. Bruxelles (réf.), 18 octobre 1988, T.R.V., 1989, p. 145, note B. V(An) B(Ruystegem).
[17] Civ. Bruxelles (réf.), 28 juin 1990, J.T., 1991, p. 393.
[18] Comm. Bruxelles (réf.), 27 novembre 1984, R.P.S., 1985, p. 81 ; Bruxelles, 3 janvier 1985, R.P.S., 1985, p. 109 ; Civ. Bruxelles (réf.), 28 juin 1990, op. cit.
[19] Comm. Bruxelles (réf.), 27 novembre 1984, op. cit. ; Bruxelles, 3 janvier 1985, op. cit.
[20] O. Caprasse et R. Aydogdu, Les conflits entre actionnaires, Bruxelles, Larcier, 2010, nos 30-31, p. 22, et nos 266-267, pp.156-158.
[21] Ch. Sunt, « Dematerialisatie van vennootschapseffecten », in K. Byttebier, R. Feltkamp et A. François (éds.), De gewijzigde vennootschapswet, Anvers, Maklu, 1996, n° 42, p. 457.
[22] A.-P. André-Dumont, « La suppression des titres au porteur en droit commercial. La suppression des titres au porteur et le droit des sociétés », J.T., 2008, n° 19, p. 441.
[23] Ibid.
[24] O. Caprasse et R. Aydogdu, op. cit., nos 302-305, pp. 176-177.
[25] Ibid., nos 270-271, p. 159.
[26] Cette répartition légale des pouvoirs ne concerne pas les S.C.R.L., dans lesquelles, en principe, l'assemblée générale dispose toujours de la plénitude des pouvoirs, sauf ceux attribués expressément par la loi à l'organe de gestion ; on retrouvera toutefois très fréquemment dans les statuts de ces sociétés la clause attribuant tous les pouvoirs de gestion, à l'exception des compétences légales et statutaires de l'assemblée générale, à l'organe de gestion : voy., par exemple, H. Du Faux, « Les sociétés coopératives - Formulaire », Rép. not., tome XII, I. V/4, Bruxelles, Larcier, 1994, formule 1, articles 21 (p. 9) et 25 (p. 10).
[27] Il est certes possible de conférer statutairement certains pouvoirs résiduaires à l'assemblée générale, mais une telle disposition statutaire ne peut avoir pour effet de vider de sa substance la répartition légale des pouvoirs (J. Ronse, De vennootschapswetgeving, 1973, Louvain, Story-Scientia, 1973, n° 309, p. 162, et n° 316, p. 166 ; L. Simont, « La loi du 6 mars 1973 modifiant la législation relative aux sociétés commerciales », R.P.S., 1974, n° 35, pp. 35-38, et n° 37, p. 39).
[28] Quand ce pouvoir n'est pas statutairement limité dans les S.P.R.L. et S.C.RL.
[29] O. Caprasse et R. Aydogdu, op. cit., nos 308-310, pp. 178-179.


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Date(s)

  • Date de publication : 12/02/2016

Auteur(s)

  • Aydogdu, R.

Référence

Aydogdu, R., « Les conditions de la mise sous séquestre de parts ou actions de sociétés », J.L.M.B., 2016/6, p. 261-265.

Branches du droit

  • Droit civil > Contrats spéciaux > Séquestre
  • Droit économique, commercial et financier > Sociétés et associations > Sociétés > Société à responsabilité limitée
  • Droit économique, commercial et financier > Sociétés et associations > Sociétés > Société anonyme (abrogé)

Éditeur

Larcier

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