Jurisprudence - Droit des sociétés
I. |
Référé - Requête unilatérale - Procédure sur requête unilatérale - Absolue nécessité - Extrême urgence. |
II. |
Sociétés - Sociétés anonymes - Séquestre sur actions - Conditions. |
1. La procédure sur requête n'est autorisée qu'à titre exceptionnel lorsqu'il y a absolue nécessité à introduire la demande par voie de requête unilatérale, laquelle doit être exclue dès qu'une procédure contradictoire pourrait être employée efficacement.
L'absolue nécessité existe dans trois hypothèses : s'il est nécessaire de provoquer un effet de surprise, lorsqu'il n'est pas possible d'identifier de manière certaine et précise les personnes à charge desquelles les mesures doivent être exécutées et en cas d'extrême urgence, laquelle n'est présente que lorsque la crainte d'un péril grave et imminent nécessite une mesure immédiate qui ne saurait souffrir du délai causé par le recours à une procédure contradictoire.
Le recours à la procédure unilatérale peut être justifié par la nécessité de provoquer un effet de surprise et d'éviter toute dissipation d'une chose litigieuse jusqu'à ce que la procédure au fond tendant à la restitution de celle-ci, qui doit être introduite à bref délai, ait pu aboutir.
2. Lorsqu'il existe un important contentieux entre parties et que l'une de celles-ci va introduire une procédure au fond en vue de se faire restituer des actions, elle peut en solliciter la mise sous séquestre si elle justifie, d'une part, de droits apparents sur les actions et, d'autre part, de la crainte légitime que les détenteurs des actions s'en défassent pendant la procédure au fond.
(S.A. De. et autres / Liliane et Me D. Catfolis qualitate qua faillite S.A. F. )
Vu l'ordonnance du 15 mai 2013 du président du tribunal de commerce de Tournai, siégeant en référés ; (...)
Les éléments essentiels du litige peuvent être succinctement relatés comme suit :
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le 18 octobre 2012, Liliane a déposé une requête unilatérale sur la base de l'article 584, alinéa 3, du Code judiciaire auprès du président du tribunal de commerce de Tournai en sollicitant, d'une part, la désignation d'un administrateur provisoire pour la S.A. F. et, d'autre part, la désignation d'un séquestre, en postulant qu'il soit ordonné à la S.A. De. et à ses administrateurs, les consorts D., de remettre à ce séquestre, sous peine d'astreinte, les 6.744 actions de la S.A. F. qu'ils détenaient ;
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par ordonnance du 18 octobre 2012, il a été fait droit à cette requête et Maître Catfolis a été désigné en qualité d'administrateur provisoire et de séquestre ;
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par citation du 29 octobre 2012, Liliane a introduit une procédure au fond devant le tribunal de commerce de Tournai en postulant notamment que les 6.744 actions faisant l'objet de la mise sous séquestre lui soient restituées ;
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par citation du 29 novembre 2012, la S.A. De., les consorts D. et la S.A. F. ont formé tierce opposition à l'ordonnance du 18 octobre 2012 ;
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par ordonnance du 15 mai 2013, cette tierce opposition a été dite recevable mais non fondée ;
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la S.A. De., les consorts D. et la S.A. F. ont relevé appel de cette ordonnance par requête du 30 septembre 2013 ;
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la procédure au fond, pendante devant le tribunal de commerce de Tournai, a donné lieu à un jugement du 23 janvier 2014 posant diverses questions, invitant les parties à s'en expliquer et rouvrant les débats à l'audience du 12 juin 2014.
(...)
IV. |
Apparence de fondement |
la S.A. F. a été constituée le 12 septembre 2000 en vue d'une opération immobilière spéculative en France, à (...).
Sa constitution a donné lieu à la rédaction de quatre conventions, lesquelles apparaissent pour le moins peu claires quant aux réelles intentions des parties.
C'est ainsi que le juge du fond, le tribunal de commerce de Tournai, a relevé en son jugement du 23 janvier 2014 que l'ensemble des conventions conclues entre les parties pèchent souvent par l'obscurité de leur libellé.
De nombreuses contestations sont par la suite nées entre les parties qui ont donné lieu à des tentatives d'accords, à la signature de nouvelles conventions et à diverses procédures tant en France qu'en Belgique.
L'opération immobilière s'est cependant poursuivie et le terrain sis à (...) a été vendu, par un acte notarié du 9 juillet 2009, pour un prix de 4 millions d'euros, la S.A. F. devenant en outre propriétaire de 50 parts sociales de la société acquéreuse, la S.C.I. P.
Par citation du 11 mars 2011, Liliane a introduit une procédure qui a abouti à l'arrêt du 7 novembre 2012 de la vingt-et-une chambre de la cour de céans confirmant la désignation d'un expert-comptable sur la base de l'article 166 du Code des sociétés.
Le 18 octobre 2012, elle a déposé la requête unilatérale faisant l'objet de la présente procédure.
Le 29 octobre 2012, elle a introduit une procédure au fond qui a donné lieu à un jugement de réouverture des débats du 23 janvier 2014 du tribunal de commerce de Tournai.
En substance, l'actuelle intimée soutient qu'en vertu de la convention intervenue le 20 décembre 2004, elle peut prétendre à la restitution des actions litigieuses, lesquelles avaient été gagées en faveur de la S.A. De. et sont actuellement mises sous séquestre.
Elle estime ainsi justifier d'une apparence de droit suffisante.
Les appelants considèrent quant à eux que les prétentions de l'intimée sont non fondées et qu'elle n'est pas propriétaire des actions qu'elle revendique.
Après un examen approfondi de l'ensemble des données du litige, qu'il n'appartient pas à la cour d'opérer dans le cadre de la saisine limitée au référé qui est la sienne, le juge du fond a estimé, par son jugement précité du 23 janvier 2014, devoir rouvrir les débats après avoir soulevé diverses questions et invité les parties à s'en expliquer.
Les prétentions de l'intimée apparaissent ainsi sérieuses, sans quoi le juge du fond l'en aurait déboutée sans devoir requérir d'explications complémentaires, et elle justifie d'une apparence de droit suffisante prima facie.
V. |
Absolue nécessité et urgence |
A. Les appelants soutiennent que c'est abusivement qu'il a été recouru au référé sur requête unilatérale alors qu'il n'y avait ni urgence ni absolue nécessité d'y recourir.
La procédure sur requête n'est autorisée qu'à titre exceptionnel lorsqu'il y a absolue nécessité à introduire la demande par voie de requête unilatérale, laquelle doit être exclue dès qu'une procédure contradictoire pourrait être employée efficacement (voy. rapport Van Reepinghen, Pasin., 1968, p. 397).
La notion d'absolue nécessité qui autorise le recours à la procédure sur requête unilatérale doit donc être interprétée restrictivement et rester exceptionnelle dès lors qu'elle emporte une dérogation substantielle au principe fondamental du contradictoire et exclut de tout débat les parties concernées par le litige (voy. H. Boularbah, « L'intervention du juge des référés par voie de requête unilatérale », in Le référé judiciaire, Éditions du Jeune barreau de Bruxelles, 2003, p. 80, n° 11).
Cette absolue nécessité existe dans trois hypothèses : s'il est nécessaire de provoquer un effet de surprise, lorsqu'il n'est pas possible d'identifier de manière certaine et précise les personnes à charge desquelles les mesures doivent être exécutées et en cas d'extrême urgence (voy. Bruxelles, 19 mars 2004, J.T., p. 576 ; voy. également G. De Leval, « Le référé en droit judiciaire privé », Actualités du droit, 1992-1993, p. 874, n° 29 ; voy. G. Demez, « Aspects actuels du référé social », in Formation permanente CUP, vol. 25, Les procédure en référé, p. 82, n° 21).
Quant à l'extrême urgence, la requête unilatérale est admise en cas d'urgence exceptionnelle lorsque la crainte d'un péril grave et imminent nécessite une mesure immédiate qui ne saurait souffrir du délai causé par le recours à une procédure contradictoire (voy. H. Boularbah, op. cit., p. 486, n° 646).
B. L'intimée estime qu'il était nécessaire d'obtenir un effet de surprise car elle craignait légitimement que, dès l'entame d'une procédure au fond, les appelants pouvaient tenter de divertir les actions litigieuses, de manipuler les comptes, de faire disparaître les pièces comptables.
Elle met en exergue divers éléments (disparition des documents, cel des comptes bancaires, obstruction permanente et persistante, opacité des comptes, tromperies concernant les sommes reçues, ...) suscitant de telles craintes.
Elle ajoute que les mesures prises ne préjudicient pas la société, laquelle n'exerce aucune activité commerciale ou industrielle, son seul objet véritable étant la réalisation de l'opération immobilière à (...) et d'ensuite gérer et placer le produit de la vente de l'immeuble.
Les appelants contestent les diverses affirmations de l'intimée et considèrent qu'il n'y a ni absolue nécessité ni urgence justifiant les mesures prises, lesquelles leur apparaissent disproportionnées.
C. Eu égard à l'important contentieux entre parties, la crainte de l'intimée de voir les détenteurs des actions s'en défaire apparaît légitime et, comme dit ci-avant, elle peut se prévaloir de droits apparents sur celles-ci.
Elle pouvait dès lors recourir à la mesure conservatoire qu'est le séquestre.
Le recours à la procédure unilatérale était justifié par la nécessité de provoquer un effet de surprise et d'éviter ainsi toute dissipation des actions jusqu'à ce que la procédure au fond, devant être introduite à bref délai, ait pu aboutir.
La mesure de désignation d'un séquestre a ainsi été prise à bon droit par l'ordonnance unilatérale dont tierce opposition.
D. Par contre, l'intimée ne pouvait sérieusement se prévaloir de la nécessité d'un effet de surprise quant à la désignation d'un administrateur provisoire, une demande similaire ayant été formée et rejetée en mars 2011.
Même s'il est fait état d'éléments nouveaux, il n'en résultait pas une situation d'urgence permettant de se dispenser du recours à la procédure contradictoire pour la réitération d'une telle demande.
En outre, l'intimée avait obtenu la désignation d'un expert-comptable, par un jugement du 11 octobre 2011 du tribunal de commerce de Tournai, certes alors frappé d'appel mais exécutoire par provision.
Le contrôle comptable ainsi opéré devait suffire à écarter les craintes de l'intimée quant à une manipulation des comptes de la société, étant rappelé qu'une éventuelle obstruction à l'expertise pouvait donner lieu à un incident soumis à bref délai au juge chargé de son contrôle.
Les conditions d'urgence et d'absolue nécessité ne sont pas réunies quant à cette mesure et il convient de faire droit à l'appel quant à ce.
Dispositif conforme aux motifs.
Siég. : M. J. Matagne, Mmes C. Knoops et Fr. Wilmet.
Greffier : M. E. Guéret. |
Plaid. : MesM. Forges, L. Foucart (loco A. Hubaux), J.-M. Gustin et J. Demets. |