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16/09/2011
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Pour une dynamique du droit


Jurisprudence - Droit social

I. Contrat de travail - Généralités - Contrat de travail - Licenciement avec préavis - Distinction entre ouvriers et employés - Incapacité de travail - Jour de carence - Egalité - Discrimination.
II. Cour constitutionnelle - Autorité - Question préjudicielle - Constat d'inconstitutionnalité - Dispositions invalidées - Maintien dans le temps.

C'est une vision téléologique du droit, s'inscrivant dans la dynamique des arrêts des 8 juillet 1993 et 21 juin 2001, que développe l'arrêt rendu le 7 juillet 2011 par la Cour constitutionnelle.
On nous permettra de rappeler la teneur des arrêts du 8 juillet 1993 et du 21 juin 2001 [1], ceux-ci donnant tout son relief à la décision annotée.
1. L'arrêt du 8 juillet 1993
Ensuite de trois questions préjudicielles posées par les tribunaux du travail d'Anvers, de Gand et de Bruxelles, la Cour établit un double questionnement concernant la constitutionnalité, d'une part, des articles 59 et 82 (délais de préavis différents pour un ouvrier et un employé ayant la même ancienneté) de la loi du 3 juillet 1978, d'autre part, de l'article 82, paragraphes 2 et 3 (délais de préavis différents donnés aux employés selon le montant de la rémunération annuelle) de la même loi.
1.1. S'agissant de la prétendue discrimination entre employés dits « inférieurs » et « supérieurs », pour ce qui est de l'octroi - qui n'est qu'une faculté - de délais de préavis plus long aux seconds, le propos est bref : la distinction, perpétuée par la loi répond à un but légitime, les employés ayant des responsabilités plus lourdes retrouvant plus difficilement un emploi équivalent.
1.2. Au regard de la distinction entre ouvriers et employés, et ayant rappelé qu'une différence de traitement n'est pas, en soi, illégale ou discriminatoire, la Cour remonte au critère fondant la différence [2] et déclare que ce critère [3] « pourrait difficilement justifier de manière objective et raisonnable qu(e celle-ci) fût instaurée aujourd'hui » [4].
1.3. Abordant l'essentiel de la problématique, la Cour relève que la distinction, celle-ci ne se pouvant point réduire à la seule matière de la durée des préavis [5], se doit apprécier au regard de l'objectif dont s'inspire le législateur de 1978. Elle en appelle ainsi au passé et au présent, le premier trouvant à justifier la distinction en cause par le fait des mentalités, des situations économiques et sociales différentes, le second ayant entrepris un « processus d'effacement de l'inégalité », visant au rapprochement des statuts, en un mouvement d'harmonisation progressive. Ainsi, « le maintien de la distinction n'est pas manifestement disproportionné à un objectif qui ne peut être atteint que par étapes successives ».
2. L'arrêt du 21 juin 2001
La question est ici celle de la compatibilité de l'article 63 (licenciement abusif) de la loi du 3 juillet 1978 avec les principes d'égalité et de non-discrimination, se posant au plan des avantages accordés aux uns, les ouvriers, et non aux autres, les employés.
Considérant l'objectif poursuivi, la Cour estime que la différence de traitement, qui, elle le rappelle, repose sur un critère « qui pourrait difficilement justifier de manière objective et raisonnable qu'elle fût instaurée aujourd'hui », n'a été introduite que dans le souci d'en compenser une autre, l'objectif poursuivi étant de « rapprocher progressivement les niveaux de protection » (B.6.), autrement dit, « de réduire progressivement les différences entre employés et ouvriers, en ce qui concerne les garanties accordées aux uns et aux autres en matière de licenciement » (B.8).
3. L'arrêt du 7 juillet 2011
Il ne nous paraît pas qu'il y ait contradiction entre ce dernier arrêt et les précédents. Certes, au plan formel, le libellé des dispositifs des deux premiers arrêts se révèle différent de celui clôturant l'arrêt du 7 juillet 2011. Mais pour ce qui est du fond, on ne relève pas de contradiction entre les trois arrêts dans la mesure où l'on considère que la logique de la Cour s'inscrit dans une optique téléologique.
L'objectif de rapprochement progressif auquel se réfère la Cour, paraît en effet la pierre angulaire de son raisonnement et trouve son épilogue dans l'arrêt du 7 juillet 2011, ce dernier, répétant que « le législateur ne peut ... se voir reprocher d'élaborer cette réforme de manière réfléchie et par étapes successives » (B.4.1.), les normes pouvant, par ailleurs, évoluer grâce à la négociation collective. On ne peut s'empêcher d'ici évoquer J. Carbonnier : « ... dans la désuétude ... des forces sociales vives sont à l'oeuvre, en dehors des formes juridiques officielles ; n'y-a-t il pas un entêtement irréaliste à leur dénier le pouvoir, là de créer, ici de détruire ? » [6]. Mais, toute patience a des limites et la Cour estime cette fois que « l'objectif d'une harmonisation progressive ... ne justifie plus, dix-huit ans après que la Cour eut constaté que le critère de distinction en cause ne pouvait plus être considéré comme pertinent, que certaines différences de traitement [7] ... puissent encore être longtemps maintenues, perpétuant ainsi une situation d'inconstitutionnalité manifeste » (B.4.3.). Restait à conclure, de façon tout à fait logique, vu les développements exposés depuis l'arrêt du 8 juillet 1993 : les effets des articles 52, paragraphe premier, alinéas 2 à 4, et 59 de la loi du 3 juillet 1978 « sont maintenus jusqu'à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions », un dies ad quem étant fixé au 8 juillet 2013. La Cour avait auparavant examiné l'incidence de cette décision d'inconstitutionnalité, étant donné le contexte exposé. Nous renvoyons, quant à ce, à la contribution de Firass Abu Dalu [8].
4. Sous réserve de ce qui sera dit dans une optique constitutionnaliste, comme ci-dessus évoqué, on ne peut que se féliciter de cette conclusion, tant la question paraissait dans l'impasse. Certes, pour ne prendre que le seul domaine des relations collectives, des avancées avaient vu le jour : ainsi la convention collective de travail
n° 12bis du 26 février 1979, s'inscrivant, dès après la loi de 1978, dans le processus de réduction des inégalités, adaptant à la loi du 3 juillet 1978 la convention collective de travail n° 12 du 28 juin 1973, concernant l'octroi d'un salaire mensuel garanti aux ouvriers en cas d'incapacité de travail résultant d'une maladie, ou, bien plus tard, la convention collective de travail n° 75 du 20 décembre 1999, relative au délai de préavis des ouvriers, etc.
On note, pour cette année, que le projet d'accord interprofessionnel du 18 janvier 2011, abordant notamment la question du régime de licenciement des employés et des ouvriers constituera la base d'un accord gouvernemental [9]: dans ce contexte, ce sont de nouveaux délais de préavis qui, à partir du 1er janvier 2012, seront applicables aux ouvriers et aux employés, mais seulement pour les nouveaux contrats. Cette nouvelle donne permet à la Cour de souligner, de lege lata, la loi du 12 avril 2011 [10], modifiant la loi du 1er février 2011 portant la prolongation de mesures de crises et l'exécution de l'accord interprofessionnel, et exécutant le compromis du gouvernement relatif au projet d'accord interprofessionnel [11].
Néanmoins, la situation reste bloquée au plan, beaucoup plus vaste, de l'harmonisation des statuts. A titre d'illustration : à l'issue des négociations interprofessionnelles 2001-2002, les partenaires sociaux avaient abouti à un accord afin de remettre un rapport sur le statut unique au CNT vers la fin de l'année 2001, comptant sur le fait que ledit statut serait une réalité pour la fin de l'année 2006 ... [12] Si, dans l'accord interprofessionnel 2007-2008, il est encore fait mention de l'état d'avancement des travaux des partenaires sociaux, la question est simplement éludée dans l'accord 2009-2010. De même, on ne compte plus les interpellations parlementaires. On épinglera, à titre exemplatif, la proposition du 1er février 2006 de résolution relative au statut du travailleur salarié et supprimant la distinction entre ouvrier et employé [13] ou celle, du 1er octobre 2008, instaurant un statut unique pour les travailleurs salariés [14].
La doctrine, pour sa part, n'a eu de cesse de dénoncer cet état de choses [15], le caractère désuet de la distinction concernée. Au regard d'une situation sclérosée, fleurant son XIXe siècle, la Cour constitutionnelle, adoptant une position pour le moins inhabituelle, a eu le courage de mettre le politique devant ses responsabilités. C'est qu'il y va non seulement de cas touchant les individus, mais d'une situation entravant la dynamique du monde du travail. En effet, sous le licenciement pointe la priorité du nouvel emploi, et à défaut d'harmonisation, on dispose de peu de visibilité à cet égard. On ajoutera que la distinction entre employés et ouvriers, telle qu'opérée en Belgique s'inscrit comme un archaïsme dans le concert européen.
Puisse l'avenir donner tort à l'aphorisme d'horace : « Parturient montes ; nascetur ridiculus mus » [16].

 


[1] Voy. notamment M. Dumont et J. Clesse, " Les arrêts récents de la Cour d'arbitrage en droit social et leurs suites, Questions de droit social ", Formation permanente CUP 2002, vol. 56, p. 265-266 ; G. Demez, " Droit au travail et motivation du licenciement ", in Quelques propos sur la rupture du contrat de travail, collectif, sous la coordination de St. Gilson, Anthémis, 2008, p. 150-160 : sur « la motivation du licenciement et le rapprochement des statuts ; Les grands arrêts de la Cour constitutionnelle en droit social, sous la coordination de Ch.-E. Clesse, 2010, p. 987-1000, avec les commentaires de Ch.-E. Clesse et St. Gilson.
[2] Articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978.
[3] Dans une optique historiciste, il serait intéressant, à cet égard, de remonter aux critères présidant à la diversification sociale et professionnelle née à la fin du XIIIe siècle avec le développement du secteur textile en
Flandre. On découvrirait peut-être d'étonnants parallélismes.
[4] Voy. nos observations " Le statut unique : à Pâques ou à la Trinité ? ", sous C. trav. Anvers, 4 juin 2008, cette revue, 2008, p. 1528.
[5] On relève en effet des différences en matière de période d'essai, de salaire garanti, de chômage partiel, de vacances annuelles.
[6] J. Carbonnier, Flexible droit, L.G.D.J., 1971, p. 95.
[7] Il s'agit en l'espèce, d'une part, à nouveau des articles 59 et 82 de la loi du 3 juillet 1978, d'autre part des articles 52, paragraphe premier (incapacité de travail de l'ouvrier et jour de carence) et 70 de la même loi.
[8] Publiée ci-après, p. 1437.
[9] Projet de loi modifiant la loi du 1er février 2011 portant la prolongation de mesures de crise et l'exécution de l'accord interprofessionnel, et exécutant le compromis du gouvernement relatif au projet d'accord interprofessionnel, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2010-2011, n° 1322/004.
[10] M.B. 28 avril 2011.
[11] Ainsi, de l'insertion dans la loi du 3 juillet 1978 des articles 65/1 à 65/4, concernant les délais de préavis des ouvriers, d'un chapitre II/1 dans le titre III de la même loi, intitulé « Régime de suspension totale de l'exécution du contrat et régime de travail à temps réduit », de la modification du chapitre III du même titre, toutes dispositions qui manifestent une volonté réelle d'harmonisation, bien que bancale.
[12] Sur le rôle du CNT, voy. la note d'observation citée sub 2.
[13] Doc. parl., Sénat, session 2005-2006, n°3-1549/1.
[14] Doc. parl., Sénat, session 2007-2008, n° 4-933/1.
[15] Voy. P. Palsterman, in " Les trente ans de la loi du 3 juillet 1978. Le contrat de travail, permanences et évolutions ", Orientations, 2008, n° 6, p. 5 ; L. Dear, " La distinction-employé-ouvrier a-t-elle encore un sens ? ", C.D.S., 2009, p. 353-357 ; M. De Vos, " Le gouvernement et les partenaires sociaux manquent de vision d'avenir ", l'Echo, 19-21 décembre 2009, p. 11.
[16] « Les montagnes sont en travail ; il en naîtra une souris ridicule ».


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Date(s)

  • Date de publication : 16/09/2011

Auteur(s)

  • Westrade, M.

Référence

Westrade, M., « Pour une dynamique du droit », J.L.M.B., 2011/29, p. 1434-1436.

Branches du droit

  • Droit public et administratif > Cour constitutionnelle > Compétence préjudicielle
  • Droit social > Contrat de travail > Fin du contrat de travail > Résiliation unilatérale moyennant préavis

Éditeur

Larcier

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