Jurisprudence - Droit de la famille
Divorce - Mesures provisoires - Séparation due à l'infidélité de la demanderesse - Demande de secours non fondée . |
Même sous l'empire de la législation actuelle sur le divorce pour cause de désunion irrémédiable des époux, le juge peut refuser un secours alimentaire si la partie à laquelle ce secours est demandé démontre que la partie demanderesse est, fût-ce partiellement, responsable de l'origine de la séparation ou de son maintien. En l'espèce, l'épouse n'a pas droit à un secours alimentaire, compte tenu de son infidélité, qui établit qu'elle est responsable de la séparation.
(P. / B. )
...
Les parties ont contracté mariage le 28 octobre 2006 à Braives sous le régime de la séparation de biens (contrat du 20 octobre 2006). Aucun enfant n'est issu de l'union de celles-ci.
Madame P. a quitté le domicile conjugal fin janvier 2009.
Monsieur B. a assigné son épouse en divorce par citation du 26 mars 2009 sur la base de l'article 229, paragraphe premier, du code civil.
Par même citation, il a sollicité les mesures urgentes et provisoires durant l'instance en divorce, à savoir la fixation de sa résidence à 4261 Braives (Latinne) ...
Par ordonnance rendue le 14 avril 2009, le juge des référés du tribunal de première instance de céans a :
-
fixé la résidence de monsieur B. à 4261 Braives (Latinne) ...
-
dit que la résidence de madame P. restait à déterminer ;
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fait défense à chacune des parties de pénétrer en la résidence de son conjoint sous peine de s'en faire expulser par toutes voies de droit, au besoin avec l'aide de la force publique ;
-
réservé à statuer pour le surplus.
Par la présente opposition, madame P. ne s'opposant pas à la fixation de la résidence de monsieur à 4261 Latinne ..., postule :
-
un secours alimentaire de 600 euros par mois à dater du 1er février 2009 ;
-
la condamnation de monsieur B. à lui restituer tous ses effets personnels, en ce compris ses bijoux, ce sous peine d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à dater du quinzième jour suivant la signification de l'ordonnance à intervenir.
Monsieur B. s'oppose à la débition d'un secours alimentaire soutenant que la séparation est imputable à madame P. au motif qu'elle était infidèle.
A. |
Quant au secours alimentaire |
Il sied de rappeler que la pension alimentaire réclamée par l'épouse durant l'instance en divorce est une modalité de l'exécution du devoir de secours imposé à chaque époux par l'
article 215 du code civil, devoir qui cesse au jour où la décision prononçant le divorce acquiert force de chose jugée.
Le juge des référés peut-il, durant l'instance en divorce, prendre en considération les torts et griefs que l'une des parties articule contre l'autre pour la détermination d'un secours alimentaire ?
Sous l'empire de l'ancien droit, la faute ne devait pas être prise en considération et le référent était la situation de fortune des parties.
Par un arrêt rendu le 22 décembre 2006, la Cour de cassation a fait exception à la règle : le défendeur peut prouver que la séparation est imputable pour tout ou partie à l'époux qui sollicite une pension alimentaire
[1]. Pour l'appréciation de cette preuve, le président ne peut préjuger de l'appréciation des fautes qui sera faite par le juge du fond.
La Cour de cassation énonce dans les arrêts des 22 décembre 2006
[2] et 13 avril 2007
[3] que :
« Lorsque les époux vivent séparément à la suite d'une décision judiciaire ou à la suite d'une procédure en divorce qui suspend automatiquement la cohabitation, l'époux qui réclame une pension alimentaire ne doit pas prouver que ni le début ni la persistance de la séparation ne lui sont imputables.
» Toutefois, dans ce cas, l'autre époux est libre de prouver que le début ou la persistance de la séparation est due, fût-ce partiellement, à l'époux qui réclame une pension alimentaire ».
La question qui se pose en l'espèce est de savoir si l'enseignement dégagé par cette jurisprudence doit être maintenu après la réforme du divorce.
La loi du 27 avril 2007 sur le divorce n'a pas modifié la teneur de l'
article 1280 du code judiciaire et,
a fortiori, elle n'a pas touché à l'
article 213 du code civil.
Quel est le risque de préjuger lorsque l'action en divorce est fondée sur le nouvel article 229, paragraphe premier, du code civil ?
Il y a lieu à cet égard de faire nôtre le judicieux raisonnement de monsieur
A.-Ch. Van Gysel [4], soit :
« La désunion étant " irrémédiable lorsqu'elle rend raisonnablement impossible la poursuite de la vie commune et la reprise de celle-ci entre eux ", on pourrait y voir l'amorce d'un problème.
» Cependant, " ce " qui rend raisonnablement impossible la poursuite ou la reprise de la vie commune n'est pas nécessairement un fait culpeux : une maladie mentale ayant entraîné une mise en observation d'un des époux, puis son maintien en établissement fermé, pourrait par exemple être la cause d'une désunion irrémédiable des époux.
» Certes, on peut penser que, dans la majorité des cas, le fait invoqué à preuve de la désunion irrémédiable sera effectivement susceptible, in se, d'une qualification " culpeuse ", et celui que le demandeur de secours doit invoquer le sera nécessairement.
» Mais, ces éléments ne coïncideront pas toujours, puisque le demandeur en divorce doit simplement démontrer l'existence d'un fait qui empêche la poursuite ou la reprise de la vie commune, sans toutefois, pensons-nous, qu'il doive démontrer qu'il s'agit du " péché originel " ; et le demandeur de secours, quant à lui, ne doit rien prouver du tout : c'es au défendeur, suivant l'enseignement de l'arrêt commenté, qu'il appartiendra de prouver que la séparation ou son maintien sont, " fût-ce partiellement ", dus aux torts du demandeur d'aliments.
» En d'autres termes, le demandeur en divorce peut bien avoir fait pratiquer un constat d'adultère à charge de l'autre époux : un tel fait rend raisonnablement impossible la poursuite ou la reprise de la vie commune, donc il est cause de divorce au sens de l'article 229, paragraphe premier, du code civil, même s'il n'a pas été démontré que ce soit cet adultère qui a entraîné la séparation du couple.
» Mais le défendeur en divorce, par hypothèse également défendeur en secours alimentaire, peut parfaitement démontrer dans le cadre du référé, d'autres griefs dans le chef du demandeur, qui soit établissent que l'origine de la séparation est en fait due au demandeur, ou que les torts sont partagés quant à l'origine ou au maintien de celle-ci.
» Et vice-versa : la démonstration d'un élément de fait n'empêche donc jamais la preuve d'un autre élément dans le cadre de l'autre débat en cours parallèlement, qui reste pertinent.
» Autre argument, qui nous semble péremptoire : la qualification de faute est désormais totalement étrangère au droit du divorce, alors qu'elle reste pertinente dans le cadre du devoir de secours.
» Par conséquent, même si les faits invoqués en référé et au fond sont par hypothèse totalement identiques, l'objet de la démonstration sera cependant juridiquement différent dans les deux procédures, ce qui exclut per se toute identité de chose jugée, et donc tout risque préjugé. (...)
» En conclusion, nous soutenons que, sous l'empire de la nouvelle loi sur le divorce : pour l'octroi d'un devoir de secours sur la base des articles 213, 221 ou 308 du code civil, le demandeur d'aliments doit cumulativement prouver que le conjoint défendeur est responsable de la séparation du couple et de son maintien.
» Dans le cadre des articles 223 du code civil et 1280 du code judiciaire, il ne doit rien prouver que la disproportion des situations économiques respectives des parties, mais le défendeur peut, en démontrant que le demandeur est, fût-ce partiellement, responsable de l'origine de la séparation ou de son maintien, dénier au demandeur son droit à un tel secours ».
2. |
Application au cas d'espèce |
Il ressort du dossier soumis à notre appréciation que madame P. est responsable de la séparation des parties ainsi qu'en témoignent notamment :
-
une copie d'une lettre envoyée à la Saint-Valentin 2008 par madame P. à un Thaïlandais ou apparaissent à plusieurs reprises les termes « I love you », ainsi qu'une copie d'un livre de notes de madame P. mentionnant les échanges de SMS avec un certain Frédéric qui témoignent de sa relation extraconjugale ;
-
un constat d'adultère dressé le 21 avril 2009 à la résidence de monsieur Frédéric J. précise que le lit que madame P. occupait était un lit à deux personnes, complètement défait et présentant manifestement une chaleur résiduelle sur toute la surface.
Les allégations de madame P. suivant lesquelles elle aurait été exploitée, abusée sexuellement et violentée par monsieur B. ne sont quant à elles pas prouvées.
Partant, madame P. n'est pas en droit d'obtenir le moindre secours alimentaire de monsieur B.
B. |
Quant à la demande de restitution des effets personnels |
Madame P. ne rapporte pas la preuve que des effets personnels, notamment des
bijoux, sont encore en la possession de monsieur B.
Son opposition quant à ce chef de demande n'est, partant, pas fondée.
C. |
Quant à la fixation de la résidence de madame P. |
Il échet d'enjoindre à madame P. de se faire domicilier dans les deux mois de la signification de la présente ordonnance et de réserver à statuer quant à la fixation de sa résidence.
L'opposition formée par madame P. n'est, par conséquent, pas fondée.
Par ces motifs, ...
Disons l'opposition recevable mais non fondée.
Confirmons l'ordonnance a quo rendue le 14 avril 2009 sous la seule émendation que nous enjoignons à madame P. de se faire domicilier dans les deux mois de la signification de la présente ordonnance.
Réservons à statuer sur la fixation de la résidence de madame P.
Prorogeons la cause au mars 17 novembre 2009 à neuf heures.
Réservons les dépens.
Siég. : Mme C. Collinge.
Greffier : Mme B. Van Ham. |
Plaid. : MesJ.-Fr. Jacquemin et B. Bruyr. |
[1] |
Voy. Cass., 22 décembre 2006, T. fam., 2007, p. 2, avec note Aerts, et Rev. dr. fam., 2007, p. 452, avec note N. Dandoy. |
[2] |
T. fam., 2007, p. 2, avec note Aerts et Rev. dr. fam., 2007, p. 452, avec note N. Dandoy. |
[3] |
Cass., 13 avril 2007, Actualités du droit de la famille, 2008, liv. 3, p. 57. |
[4] |
Note sous Cass., 13 avril 2007, Actualités du droit de la famille, 2008, liv. 3, p. 57. |