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22/04/2011
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Le mécanisme de la licence « libre » et le droit d'auteur


Jurisprudence - Droits intellectuels

Droit d'auteur - Licence creative commons - Validité - Responsabilité contractuelle - Clause d'usage non commercial - Bonne foi de l'utilisateur - Responsabilité - Réparation du dommage - Equité .

1. La décision commentée offre l'opportunité de revenir sur la notion de licence libre (et ses dérivés), qui est parfois mal comprise dans le grand public. Après avoir rappelé les principaux éléments de faits de la cause, nous centrerons notre propos sur la validité et la force contraignante de ces licences qui se présentent sous une forme que l'on pourrait qualifier de conditions générales d'utilisation.
Position de la question
2. Le litige porte sur l'exploitation, par l'ASBL qui organise le Festival de théâtre de Spa, d'un morceau de musique composé par le groupe L. en tant que fond musical d'une publicité radio pour ce festival. Cette publicité a fait l'objet de quatre cent quinze passages à l'antenne sur trois radios, dont deux radios de la RTBF (Vivacité et La Première).
Les musiciens reprochent à l'ASBL d'avoir enfreint les termes de la licence « creative commons » sur la base de laquelle ils avaient mis à disposition du public (sur le site internet http://www.dogmazic.net) le morceau de musique litigieux. La licence à laquelle se réfèrent les auteurs stipule en effet l'obligation d'indiquer le nom de l'auteur ainsi que l'interdiction d'un usage commercial.
Le cas d'espèce pose la double interrogation suivante, qui le déborde :
  • peut-on tout faire avec les contenus que l'on trouve sur internet ?
  • dans quelle mesure ces licences libres sont-elles juridiquement contraignantes ?
Portée et valeur juridique d'une licence libre
3. Ce qui peut paraître une évidence est parfois bousculé à l'heure où le copier-coller est devenu un procédé naturel. Il n'est donc pas inutile de rappeler que le droit d'auteur confère notamment à son titulaire le droit exclusif de reproduire et communiquer au public son oeuvre (ou d'autoriser de tels actes)  [1].
La diffusion d'une oeuvre sur internet constitue un acte de communication au public couvert par le droit d'auteur [2]. Elle requiert donc l'autorisation de l'auteur.
Il est également admis que s'il peut refuser son autorisation, l'auteur peut, a fortiori, la soumettre aux conditions qu'il détermine [3]. Qui peut le plus, peut le moins... Ces conditions s'imposent au cocontractant, en vertu du principe de la convention-loi [4].
La polémique ayant entouré la découverte d'un plagiat dans le roman La carte et le territoire [5] de Michel Houellebecq nous a d'ailleurs récemment rappelé que ce qui est accessible gratuitement ne l'est pas nécessairement sans condition [6].
4. C'est dans ce contexte que s'inscrit la pratique des licences dites « libres », qui consiste pour l'auteur à concéder un droit d'usage plus ou moins étendu sur son oeuvre, cette dernière étant le plus souvent mise à disposition du public sur internet.
Il s'agit donc bien d'un contrat par lequel l'auteur octroie à tout tiers intéressé une licence d'utilisation sur son oeuvre, moyennant le respect des conditions fixées dans les dispositions de la licence « libre » [7].
Le terme « libre » revêt un caractère trompeur pour qualifier la nature du contrat de licence. Il est historiquement lié au fait que la mise à disposition du public des oeuvres sous licence de ce type se fait d'une manière gratuite. Cela ne signifie pas pour autant que la mise à disposition des oeuvres n'est soumise à aucune condition ou restriction. Il serait sans doute plus adéquat de parler de licence « alternative » par opposition à la traditionnelle licence dite « propriétaire » par laquelle un droit payant et limité d'utilisation est concédé.
En l'espèce, l'oeuvre litigieuse était un morceau de musique mis à disposition du public sur un site internet, moyennant le respect des termes de la licence « creative commons 2.5 » [8]. En vertu des termes de cette licence, l'usage commercial de l'oeuvre est proscrit. Un tel usage requiert donc de contacter l'auteur au préalable en vue d'obtenir une autorisation spéciale, puisque la licence en vertu de laquelle l'oeuvre est mise à disposition l'exclut.
5. La validité de la licence libre est soumise aux mêmes conditions de validité que toute licence, notamment quant au respect des exigences posées par la loi sur le droit d'auteur en matière de contrats de cession de droits d'auteur conclus avec l'auteur [9].
Les règles contractuelles contenues dans la loi sur le droit d'auteur visent à protéger l'auteur. Leur caractère impératif est donc imposé en faveur du seul auteur. La violation de ces exigences dans le cadre de la licence libre ne peut donc en aucun cas être soulevée par un tiers, fût-il utilisateur de l'oeuvre concernée [10].
6. La question du caractère contraignant de la licence « creative commons » n'est en pratique pas distincte de celle de la force obligatoire des conditions générales. En droit des obligations, on exige traditionnellement que les conditions générales aient été portées à la connaissance du cocontractant et acceptées par celui-ci pour que le contrat soit considéré comme conclu sur la base desdites conditions générales [11]. Sur ce plan, le mécanisme des licences libres présente des faiblesses. En effet, le seul constat que l'oeuvre litigieuse est mise à disposition sur un site web en lien avec une licence particulière, à un moment donné, ne permet pas de conclure avec certitude que les termes de la licence étaient identiques au moment où l'utilisateur a été télécharger cette oeuvre sur le site concerné... Les contenus sur internet sont volatiles et l'éditeur du site web ou l'auteur aurait parfaitement et facilement pu modifier la licence attachée à l'oeuvre litigieuse. En l'absence de recours à des outils de type signature électronique, la conclusion du contrat de licence sur la base d'une licence particulière n'est pas certaine et est difficile à établir [12].
L'analyse sous l'angle du droit des obligations [13] ne vide toutefois pas la question. Il convient en effet de ne pas perdre de vue que la licence libre se rapporte à l'exercice du droit d'auteur. Or, le droit d'auteur est opposable erga omnes et exige l'autorisation de l'auteur pour tout acte d'exploitation de l'oeuvre. L'opposabilité des licences libres ne concerne donc, en pratique, que l'utilisateur, car c'est à lui d'apporter la preuve écrite d'une autorisation de l'auteur. Si le mécanisme des licences libres pose certaines difficultés au regard des exigences d'opposabilité des conditions générales, c'est l'utilisateur qui en fera donc les frais. L'impossibilité de prouver la conclusion du contrat de licence doit en effet mener à la conclusion de l'existence d'une contrefaçon...
Application en l'espèce
7. La décision commentée n'aborde pas franchement la question de la force contraignante de la licence « creative commons ». Elle se borne à relever que la défenderesse a plaidé sa bonne foi en soutenant qu'elle se serait trompée de licence, pensant qu'une autre licence (plus permissive) était applicable.
L'argument soulevé par la défenderesse n'était nullement décisif, compte tenu de l'opposabilité erga omnes du droit d'auteur. On peut juste regretter que, d'un point de vue didactique, le jugement commenté n'ait pas expressément rappelé qu'il revenait à l'utilisateur (partie défenderesse en l'espèce) d'apporter la preuve de l'autorisation des auteurs.
Sur le plan des principes, la décision doit donc être approuvée.
8. D'une manière plus large, on peut déplorer que les outils de diffusion d'oeuvres sous licences libres ne prennent pas mieux en compte la sécurité juridique des utilisateurs des oeuvres.
En l'espèce, après avoir visité le site web « dogmazic.net », nous avons pu télécharger le morceau litigieux sans recevoir d'information précise sur les termes de la licence applicable. Sur les pages visitées, nous n'avons à aucun moment vu de lien ou d'onglet vers les conditions de licence [14]. Le seul élément d'information fourni réside dans la mention d'abréviations dans le nom même du fichier téléchargé. L'utilisateur est donc censé s'informer sur la signification de ces abréviations pour être en mesure de comprendre la portée des droits concédés [15]. Une telle légèreté dans l'information du cocontractant nous semble particulièrement regrettable dans le cadre de modèles de diffusion censés offrir une alternative aux licences propriétaires jugées trop restrictives.
D'un point de vue technique, il ne serait pourtant pas bien compliqué de compresser le fichier contenant le morceau de musique avec un fichier texte reprenant la licence applicable ou même de simplement ajouter des mentions claires explicitant les termes de la licence applicable aux oeuvres concernées, directement sur les pages permettant leur téléchargement.
Ce manque flagrant de transparence pourrait en outre poser un problème juridique. En effet, bien souvent, la mise à disposition d'oeuvres en ligne pourra être qualifiée de fourniture de services de la société de l'information [16]. La loi sur les services de la société de l'information s'appliquera donc. Or, cette loi impose notamment aux diffuseurs d'oeuvres de communiquer sur un support durable les conditions contractuelles applicables [17]. Elle oblige par ailleurs à délivrer une confirmation de commande lorsque le contrat est conclu en ligne. La mise en place de processus de confirmation de commande conformes à ce qu'exige la loi sur les services de la société de l'information [18] permettrait à l'utilisateur de conserver une trace écrite et stable [19] des termes de la licence, celle-ci étant rappelée dans le courriel de confirmation de commande. Observons encore qu'une antinomie pourrait survenir entre les règles de la loi sur les services de la société de l'information et les règles propres au droit d'auteur, dans la mesure où les premières font peser sur le prestataire de services (diffuseur d'oeuvres sous licence libre) la charge de la preuve du respect des exigences légales [20] tandis qu'en droit d'auteur c'est à l'utilisateur de l'oeuvre d'établir l'existence et la portée de l'autorisation (la licence) dont il se prévaut [21].
Enfin, la décision rapportée doit être pleinement approuvée en ce qu'elle consacre la validité du mécanisme de licence « creative commons » en tant que mode d'exercice du droit d'auteur [22]. Elle est d'autant plus intéressante à cet égard que les décisions sur ce point sont rares [23].

 


[1] Article premier, paragraphe premier, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins.
[2] En ce sens, voy. notamment : Bruxelles, 28 octobre, 1997, A&M, 1997, p. 383 ; A. Lucas, Droit d'auteur et numérique, Paris, Litec, 1998, p. 138, n° 272 ; S. Dusollier, " Droit d'auteur ", in Y. Poullet (dir.), Droit de l'informatique et des technologies de l'information : chronique de jurisprudence (1995-2001), Dossiers du J.T. n°41, Bruxelles, Larcier, 2003, p. 67.
[3] En ce sens, voy. Cass., 19 janvier 1956, J.T., 1956, p. 321. La solution est bien établie en doctrine de longue date également. Voy. ainsi : G. Van Hecke, F. Gotzen et J. Van Hoof, " Overzicht van rechtspraak. Industriële eigendom, auteursrecht (1975-1990) ", T.P.R.., 1990, p. 1807 ; J. Perlberger, " Chronique de jurisprudence : le droit d'auteur (1976 à 1985) ", J.T., 1986, p. 630-631, n° 46 ; P. Poirier, Le droit d'auteur, Bruxelles, Larcier, 1936, p. 488, n° 513. En général sur cette question ainsi que sur l'opposabilité aux tiers des conditions d'usage posées dans le cadre d'un contrat de licence, voy. A. Cruquenaire, L'interprétation des contrats en droit d'auteur, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 93 et suivantes (n° 112 et suivants). Pour des exemples de conditions imposées par l'auteur, voy. Civ. Bruxelles, 27 mai 1994, A. & M., 1996, p. 411 (autorisation d'exploitation d'un slogan publicitaire pour un type d'usage bien défini) ; Civ. Bruxelles (réf.), 26 octobre 1983, Ing.-Cons., 1984, p. 254 (conditions spécifiques imposées pour l'exploitation commerciale d'un film en vidéo) ; Bruxelles, 9 mai 1953, Ing.-Cons., 1953, p. 198 (restrictions quant à l'usage des exemplaires de l'oeuvre pour la réalisation desquels l'autorisation de l'auteur est donnée).
[4] Article 1134, alinéa premier, du code civil.
[5] Prix Goncourt 2010.
[6] L'auteur a été accusé (et a reconnu les faits par la suite) de la reprise en intégralité de passages tirés de plusieurs rubriques de l'encyclopédie Wikipedia, sans citer ses sources. Or, la licence (creative commons, comme dans la décision commentée) sous laquelle les contenus sont distribués par Wikipedia impose la mention du nom des auteurs des contributions réutilisées. A ce propos, voy. la déclaration officielle de la fondation exploitant Wikipedia :http://blog.wikimedia.fr/wikipedia-michel-houellebecq-et-le-droit-dauteur-2290 (dernière consultation le 15 mars 2011).
[7] En ce sens, voy. Y. Cool, H. Haouideg, P. Laurent, F. De Patoul et D. Deroy, Les logiciels libres face au droit, Cahiers du CRID, n° 25, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 20-21, n° 33.
[8] Il s'agit d'un type de licences inspirées du mouvement logiciel libre et visant à permettre le libre accès aux contenus concernés moyennant le respect de certaines contraintes plus ou moins fortes selon la version de licence choisie par l'auteur de l'oeuvre concernée. Pour plus de détails, voy.http://www.creative-commons.org . Souvent, les licences libres sont basées sur des notions de droit anglo-saxon. Pour les licences creative commons, les initiateurs du projet ont veillé à réaliser des versions « nationalisées » de leurs licences afin d'intégrer les conceptions juridiques propres à chaque pays. Une version des licences adaptée au droit belge a ainsi été établie avec le concours du Centre de recherche information, droit et société (CRIDS) des FUNDP.
[9] A ce propos, voy. notamment H. Vanhees, " De nieuwe wettelijke regeling inzake auteurscontracten ", R.D.C., 1995, p. 728 et suivantes.
[10] L'examen de la portée de ces dispositions protectrices et de leur sanction déborde le champ de la présente note. A cet égard, nous renvoyons le lecteur à des exposés plus généraux. Voy. ainsi A. Berenboom, Le nouveau droit d'auteur et les droits voisins, 4e édition, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 215 et suivantes ; F. De Visscher et B. Michaux, Précis du droit d'auteur et des droits voisins, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 311 et suivantes.
[11] En ce sens, voy. P. Wéry, " La théorie générale du contrat ", in Rép. Not., tome IV, livre 1/1, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 338 et suivantes (n° 194 et suivants).
[12] En faveur d'une adhésion tacite du seul fait de l'usage de l'oeuvre, voy. cependant Y. Cool, H. Haouideg, P. Laurent, F. De Patoul et D. Deroy, Les logiciels libres face au droit, Cahiers du CRID, n° 25, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 172-173.
[13] Pour une analyse en ce sens, voy. M. Lambrecht, " Première décision creative commons : contrats de licence et modèles économiques du libre accès ", R.D.T.I., 2011, p. 73-75.
[14] Seul un lien figurant tout en bas des pages renvoie vers la licence applicable à l'ensemble du site, mais cela est en contradiction avec la licence applicable au morceau litigieux.
[15] Pour une analyse détaillée, voy. M. Lambrecht, " Première décision creative commons : contrats de licence et modèles économiques du libre accès », R.D.T.I., 2011, p. 71.
[16] Loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l'information, M.B., 17 mars 2003 (ci-après « LSSI »). Voy. l'article 2, 1° : « service de la société de l'information : tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire du service ». L'exigence de rémunération n'écarte pas les licences libres du champ d'application de la réglementation, dans la mesure où cette exigence est rencontrée dès que l'activité bénéficie d'une contrepartie économique, quel que soit le mode de rémunération (directe ou indirecte) du service. Ainsi, les services fournis gratuitement dans le cadre d'activités financées grâce à la publicité sont couverts (E. Montero, M. Demoulin et C. Lazaro, " La loi du 11 mars 2003 sur les services de la société de l'information ", J.T., 2004, p. 82).
[17] Article 8, paragraphe 2, LSSI.
[18] Article 10 LSSI.
[19] L'e-mail étant considéré comme un support durable (en ce sens, voy. M. Demoulin, " La notion de support durable dans les contrats à distance : une contrefaçon de l'écrit ? ", R.E.D.C., 2000, p. 361 et suivantes).
[20] Article 12 LSSI (exigences portant spécialement sur l'information précontractuelle ainsi que la confirmation de commande).
[21] Les conséquences pratiques de cette antinomie et sa résolution débordent cependant le cadre de la présente note.
[22] Dans le même sens, voy. D. Kaesmacher (dir.), " Les droits intellectuels ", in Rép. not., tome II, livre 5, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 348-349, n° 379.
[23] Voy. Civ. Amsterdam (réf.), 9 mars 2006, R.D.T.I., 2007, p. 330 et suivantes, note de P. Laurent.


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Date(s)

  • Date de publication : 22/04/2011

Auteur(s)

  • Cruquenaire, A.
  • Henrotte, J.-F.

Référence

Cruquenaire, A. et Henrotte, J.-F., « Le mécanisme de la licence « libre » et le droit d'auteur », J.L.M.B., 2011/16, p. 778-782.

Branches du droit

  • Droit économique, commercial et financier > Droits intellectuels > Droits d'auteur et droits voisins > Droit d'auteur et droits voisins - Droit d'auteur
  • Droit économique, commercial et financier > Droits intellectuels > Droits d'auteur et droits voisins > Droit d'auteur et droits voisins - Dispositions communes

Éditeur

Larcier

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