Me Connecter
Me connecter
PartagerPartager
Fermer
Linked InTwitter
Partager
Partager

Recherche dans la JLMB

Retour aux résultatsDocument précédentDocument suivant
Information
22/06/2010
Version PDF
-A +A

Cour d'appel Liège (12e chambre), 22/06/2010


Jurisprudence - Responsabilité

J.L.M.B. 10/717
Responsabilité - Pouvoirs publics - Faute - Notion - Arrêt d'annulation du Conseil d'Etat - Autorité - Equivalence entre excès de pouvoir et faute civile (non) .
Le fait que le Conseil d'Etat ait annulé un acte administratif n'implique pas automatiquement que l'autorité qui l'avait adopté ait commis une faute. Encore faut-il qu'il soit démontré qu'elle n'a pas agi comme l'aurait fait une autre administration placée dans les mêmes circonstances.
Tel n'est pas le cas lorsqu'un conseil communal a adopté une motion de défiance constructive à l'égard d'un échevin, peu après l'entrée en vigueur des dispositions du code de la démocratie locale et de la décentralisation, sans lui adresser de convocation expresse, alors que, sur avis contraire de l'auditeur et après qu'au stade de la suspension le Conseil d'Etat ait jugé que cette omission n'invalidait pas la procédure, ce même conseil a décidé, au stade de l'annulation, qu'elle viciait la procédure.

(M. / Commune de Sambreville )


Vu le jugement rendu le 5 février 2009 par le tribunal civil de Namur ...
Antécédents et objet de l'appel
L'objet du litige et les circonstances de la cause ont été correctement et avec précision relatés par le premier juge, à l'exposé duquel la cour se réfère.
Il suffit de rappeler que :
  • Vincent M. était échevin de la commune de Sambreville et directeur technique de la société de logements sociaux « X » ;
  • la gestion de ladite société de logements sociaux a fait l'objet d'une instruction judiciaire dans le cadre de laquelle Vincent M. a été inculpé ;
  • Vincent M. a été licencié pour motif grave de ses fonctions susvisées de directeur, une procédure devant les juridictions du travail étant pendante sur ce point ;
  • à la séance du conseil communal de la commune de Sambreville du 19 décembre 2005, Vincent M. s'est vu retirer, par décision prise à l'unanimité, tous les mandats spéciaux dont il était titulaire, ayant été averti de ce point de l'ordre du jour du conseil communal et ne s'y étant pas présenté ;
  • le 17 janvier 2006, une motion de méfiance constructive a été déposée à l'égard de Vincent M. Le conseil communal de la commune de Sambreville a voté cette motion le 23 janvier 2006, Vincent M. étant démis de ses fonctions d'échevin et remplacé par Philippe H. ;
  • Vincent M. a introduit un recours en suspension et en annulation au Conseil d'Etat contre cette dernière décision du conseil communal de l'intimée ;
  • le recours en suspension sera rejeté sur avis conforme de l'auditeur et le recours en annulation sera, par contre, déclaré fondé sur avis contraire de l'auditeur ;
  • Vincent M. a cité la commune de Sambreville pour obtenir la réparation du dommage qu'il affirme avoir subi à la suite de la décision annulée.
Le premier juge a déclaré l'action non fondée.
En appel, Vincent M. reproduit ses prétentions de première instance.
La commune de Sambreville demande la confirmation du jugement entrepris.
A l'audience des plaidoiries, la cour a interrogé les parties quant à la réduction des indemnités de procédure qui pourraient, s'il échet, être mises à charge de Vincent M.
Le conseil de ce dernier a signalé qu'il demandait, pour cette hypothèse, la réduction au minimum, le conseil de la commune de Sambreville précisant alors qu'il marquait son accord sur ce point.
Discussion
La responsabilité de la commune de Sambreville est recherchée sur la base de l'article 1382 du code civil.
Dans ce cadre, il appartient à Vincent M. de rapporter la preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage postulé.
1. Quant à la faute
Quant à la faute, Vincent M. invoque l'arrêt du Conseil d'Etat qui a annulé la décision litigieuse du conseil communal de l'intimée et l'illégalité qui a été retenue dans cet arrêt.
L'arrêt du 14 mai 2007 annule la décision litigieuse en retenant une violation du principe « Audi alteram partem », au seul motif que :

« il ne ressort d'aucun élément du dossier que le requérant aurait reçu une convocation l'informant expressément de la faculté qui lui était offerte de faire valoir son point de vue devant le conseil communal lors de la séance du 23 janvier 2006 en manière telle qu'il eût été en mesure de préparer utilement son argumentation ».

Comme le souligne la commune de Sambreville, le motif retenu est bien et uniquement l'absence d'une convocation mentionnant expressément la faculté d'être entendu.
En effet, cet arrêt doit être compris dans la cohérence de l'arrêt de suspension et des faits de la cause, à savoir que :
  • l'arrêt du 17 mai 2006 qui rejette la demande de suspension de la décision litigieuse mentionne textuellement que :

« Considérant, quant à la deuxième branche, qu'il apparaît que, s'étant privé lui-même de la faculté d'être entendu en ne se présentant pas à la séance du conseil communal du 23 janvier 2006, le requérant se prévaut, à tort, de la violation du principe Audi alteram partem » ;

- comme l'a justement retenu le premier juge, il résulte de la teneur de la lettre de Vincent M. du 18 janvier 2006 qu'il savait que des élus socialistes, dont il était, avaient déposé une motion qui avait pour objet d'obtenir sa démission au conseil communal du 23 janvier 2006 puisqu'il y mentionne : « je sais que vous, pour qui j'avais grande estime, allez me « descendre » au conseil communal de ce lundi 23 janvier ... J'ose espérer que vous êtes conscient de la gravité de votre geste... que vous n'allez pas pousser le bouchon jusqu'à me dire que c'est pour m'aider que vous m'avez condamné », la lettre mentionnant au surplus qu'elle est aussi envoyée en copie « pour information, aux journaux locaux ».
Par ailleurs, cette exigence du Conseil d'Etat d'une convocation expresse doit être analysée au regard de la nature de la décision qui était prise, à savoir l'adoption d'une motion prise dans le cadre de l'article 1123-14 du code de la démocratie locale et de la décentralisation tel que modifié par le décret du Conseil régional wallon du 8 décembre 2005.
Cette innovation décrétale, très récente à l'époque des faits litigieux, permettait soit d'adopter une motion de méfiance à l'égard de tout le collège, soit à l'égard d'un ou de plusieurs de ses membres.
La mise en oeuvre de cette motion de méfiance constructive requiert aussi le respect de conditions particulières quant à son dépôt, à la convocation du conseil communal, et à son vote.
Dans l'avant-dernier considérant de son arrêt du 17 mai 2006, le Conseil d'Etat relève d'ailleurs que ces conditions ont été respectées en reprenant les exigences du décret puis en soulignant que « prima facie », les moyens du requérant sur ce point n'apparaissent pas sérieux et de nature à justifier l'annulation de la décision attaquée.
Cette innovation décrétale de nature, à l'origine, purement politique, a toutefois été retenue par le Conseil d'Etat dans son arrêt subséquent du 14 mai 2007 comme étant une décision qui n'échappait pas à son contrôle de légalité et qui était soumise à l'exigence particulière de convocation expresse susmentionnée.
Il importe encore de souligner que cette appréciation n'était pas partagée par l'auditorat qui avait rendu un rapport concluant au rejet de la demande et ceci tant dans le recours en suspension que dans le recours en annulation.
En conclusion de cette première analyse, il y a lieu de retenir que :
  1. la seule illégalité retenue est une illégalité touchant une condition de forme, à savoir l'exigence d'une convocation expresse pour pouvoir prendre la mesure, la possibilité légale de prendre, en soi, la décision contestée, à savoir, la possibilité de démettre un échevin sur la base de l'article 1123-14 du code de la démocratie locale et de la décentralisation n'étant pas mise en doute ;
  2. la nécessité de respecter la condition spécifique de forme retenue par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 14 mai 2007 était, contrairement à ce qu'affirme Vincent M., loin d'être évidente. Le décret, qui prévoit pourtant une procédure particulière pour la motion de méfiance positive n'en fait pas mention et l'auditorat du Conseil d'Etat, dans ses deux rapports, ne l'avait pas retenue.
Au surplus, quant à la faute à retenir dans le cadre de la responsabilité recherchée, la cour retient l'analyse pertinente et détaillée faite par Jonathan Wildemeersch dans le volume Droit de la responsabilité de la Commission Université Palais (" La responsabilité des pouvoirs publics : valse à trois temps sur un air de 1382 ", Formation permanente CUP, volume 107, 2008, p. 232 et suivantes).
En effet, d'abord, la prétendue parfaite correspondance entre une illégalité et une faute y est justement contestée en soulignant qu'elle est remise en cause par la Cour de cassation elle-même dans un arrêt du 25 octobre 2004 qui nuance, à tout le moins, sa jurisprudence antérieure (op. cit., p. 235 et suivantes, « 2. L'illégalité est-elle nécessairement une faute ? »).
Ensuite, l'analyste souligne correctement que :

« Indépendamment de cette controverse qui n'est pas toujours définitivement tranchée, la Cour de cassation admet une exception à la règle absolue de l'égalité entre l'illégalité de l'acte administratif et la faute civile dans le chef de son auteur : l'erreur invincible de fait ou de droit commise par l'administration ôte le caractère fautif de la violation » (o.c., p. 239 et suivantes, « 3. L'exception »).

Ainsi, si l'on retient, ce qui est l'opinion de la cour, qu'il n'y a pas une parfaite correspondance entre une illégalité et une faute au sens de l'article 1382 du code civil, il est évident que les circonstances particulières de l'espèce permettent de retenir que l'illégalité retenue par le Conseil d'Etat n'est pas, en l'espèce, une faute au sens de l'article 1382 précité et ceci dans la mesure où cette illégalité est seulement une illégalité qui touche la procédure de prise de décision mais non la possibilité qui existait de prendre la même décision de manière parfaitement légale quant à sa teneur spécifique, à savoir la possibilité de démissionner un échevin en utilisant la disposition susvisée du code de la démocratie locale et de la décentralisation.
Au surplus, et même à retenir, quod non, ladite parfaite correspondance entre l'illégalité et la faute, il y aura encore lieu de retenir que le cas d'espèce rentre manifestement dans la notion d'erreur invincible, exception au principe (voy. la suite de l'analyse de Jonathan Wildemeersch, o.c., p. 242 et suivantes), qui, sur la base de deux arrêts de la Cour de cassation du 21 décembre 2007 et du 8 février 2008, s'interroge sur la question de savoir s'il y a lieu ensuite de constater un assouplissement de la théorie de l'égalité entre faute et illégalité ou un élargissement de l'erreur invincible) et ceci dans la mesure où :
  • le code de la démocratie locale et de la décentralisation prévoit une procédure bien particulière pour l'adoption d'une motion de méfiance positive, procédure qui ne prévoit pas une convocation expresse de l'échevin ou des échevins concernés ;
  • l'auditorat du Conseil d'Etat ne voyait nullement, en sus, la nécessité d'une convocation expresse telle que retenue par le Conseil d'Etat.
Quant à la faute, non plus au sens de l'illégalité mais au sens de la norme comportementale à apprécier sur la base du critère de l'autorité administrative normalement prudente et diligente placée dans les mêmes conditions, les circonstances précises de la cause ne permettent pas de retenir que la commune de Sambreville n'aurait pas agi comme une administration prudente et diligente.
A ce stade, la cour rappelle l'analyse faite ci-dessus à savoir que :
  • le code de la démocratie locale et de la décentralisation prévoyait une procédure précise et détaillée qui a été respectée par la commune de Sambreville ;
  • Vincent M. savait que le conseil communal allait se réunir pour l'adoption d'une motion de méfiance positive comme l'atteste sa lettre susvisée du 18 janvier 2006.) ;
  • Vincent M. a choisi de ne pas se présenter au conseil communal durant lequel la décision a été prise, se privant ainsi de la possibilité de présenter une défense, comportement qu'il avait déjà adopté lorsque le conseil communal avait statué sur la suppression de ses mandats spéciaux ;
  • l'application du principe « audi alteram partem » est réduite, en l'espèce, à la simple exigence d'une convocation mentionnant expressément la faculté de présenter son point de vue au conseil communal ;
  • cette exigence n'est apparue que dans le cadre de la procédure en annulation, ni l'arrêt statuant sur le recours en suspension, ni l'auditorat, dans ses deux rapports, n'ayant retenu l'existence de cette exigence.
En conséquence, la cour ne retient pas l'existence d'une faute au sens de l'article 1382 du code civil dans le chef de la commune de Sambreville.
2. Quant au dommage et au lien de causalité entre la faute et le dommage
A défaut de faute retenue, il est inutile d'examiner le dommage et le lien de causalité qui ne peuvent, à eux-seuls fonder la responsabilité sur la base de l'article 1382 du code civil.
C'est ainsi de manière surabondante que la cour ajoutera qu'elle partage encore l'appréciation du premier juge quant à l'absence de certitude sur l'existence du lien de causalité.
En effet, il est évident que, dans le contexte de l'époque et compte tenu du fait que Vincent M. avait déjà été déchargé de tous ses mandats particuliers, les moyens de défense qu'il aurait pu faire valoir, et qui étaient connus à l'époque, n'auraient pas changé la décision litigieuse du conseil communal.
Vincent M. en était d'ailleurs parfaitement conscient, l'ayant d'ailleurs écrit dans sa lettre susmentionnée et a choisi de ne pas assister à la réunion du conseil communal au cours de laquelle la décision litigieuse a été prise, comme il n'avait pas assisté à la réunion de ce conseil au cours de laquelle ses mandats spéciaux lui avaient été retirés.
Autrement dit, c'est la décision sur le fond, soit la décision d'accepter la motion de méfiance constructive, décision qui pouvait parfaitement, en soi, être prise légalement, qui est la cause du dommage dont se plaint Vincent M. et nullement l'illégalité déduite de l'absence d'une convocation expresse, les circonstances de la cause permettant de retenir qu'une telle convocation expresse n'aurait pas changé le vote de la motion de méfiance constructive.
3. Quant aux dépens
Le montant de base de l'indemnité de procédure correspondant à la valeur du litige est de 5.000,00 euros.
A l'audience des plaidoiries, la cour a interrogé les parties sur l'application en l'espèce de ce montant de base.
Le conseil de Vincent M. a demandé que le montant retenu soit le montant minimum de l'indemnité.
Cette demande a été justifiée par la situation financière de Vincent M. qui a perdu son emploi à la société de logements sociaux susmentionnée, ses mandats spéciaux, et sa fonction d'échevin.
Le conseil de la ville de Sambreville a marqué son accord sur cette demande.
L'indemnité minimum prévue est, en l'espèce de 1.000,00 euros.
Elle sera retenue par la cour tant pour la première instance que pour l'instance d'appel, à savoir que les dépens des deux instances seront liquidés pour la commune de Sambreville à deux fois 1.000,00 euros = 2.000,00 euros.

Par ces motifs, ...
Confirme le jugement dont appel en ce qu'il a dit la demande non fondée et a débouté Vincent M. de ses prétentions.
Condamne Vincent M. aux dépens des deux instances liquidés pour la commune de Sambreville à 2.000 euros selon la discussion spécifique tenue à l'audience des plaidoiries devant la cour.
Siég. :  Mme Ch. Malmendier, MM. L. Noir et J.-P. Vlerick.
Greffier : M. J. Frère.
Plaid. : MesE. Lemmens et J. Bourtembourg.
N.B. : voy, à ce sujet, Cass., 25 octobre 2004, cette revue, 2005, p. 638 ; P. Lewalle et L. Donnay, Contentieux administratif, Larcier, 3e édition, 2008, n° 296 ; D. De Roy, " La responsabilité quasi délictuelle de l'administration : unité ou dualité des notions d'illégalité et de faute ? ", in La protection juridictionnelle du citoyen face à l'administration, La Charte, 2007, p. 85 ; J. Wildemeersch, " La responsabilité des pouvoirs publics : valse à trois temps sur un air de 1382 ", in Droit de la responsabilité, Formation permanente CUP, 2008, vol. 107, Anthémis, Liège, p. 233 ; P. Henry et E. Morati, " Permis d'uranisme et responsabilités ", in Droit de la responsabilité - Domaines choisis, Formation permanente CUP, 2010, vol. 119, Anthémis, Liège,
p. 150 et suivantes.

 



Fermer

Sommaire

  • Le fait que le Conseil d'Etat ait annulé un acte administratif n'implique pas automatiquement que l'autorité qui l'avait adopté ait commis une faute. Encore faut-il qu'il soit démontré qu'elle n'a pas agi comme l'aurait fait une autre administration placée dans les mêmes circonstances. - Tel n'est pas le cas lorsqu'un conseil communal a adopté une motion de défiance constructive à l'égard d'un échevin, peu après l'entrée en vigueur des dispositions du code de la démocratie locale et de la décentralisation, sans lui adresser de convocation expresse, alors que, sur avis contraire de l'auditeur et après qu'au stade de la suspension le Conseil d'Etat ait jugé que cette omission n'invalidait pas la procédure, ce même conseil a décidé, au stade de l'annulation, qu'elle viciait la procédure.

Mots-clés

  • Responsabilité - Pouvoirs publics - Faute - Notion - Arrêt d'annulation du Conseil d'Etat - Autorité - Equivalence entre excès de pouvoir et faute civile (non)

Date(s)

  • Date de publication : 04/02/2011
  • Date de prononcé : 22/06/2010

Référence

Cour d'appel Liège (12 echambre), 22/06/2010, J.L.M.B., 2011/5, p. 228-233.

Branches du droit

  • Droit économique, commercial et financier > Assurances > Assurances terrestres > Assurances de dommage
  • Droit public et administratif > Droit administratif > Acte administratif

Éditeur

Larcier

User login